Reportage photo

Lampes Akari : exposition des 70 ans, Wa design gallery, Paris

Première exposition de 70 modèles vintage à Paris pour les 70 ans des lampes Akari du Japon. Retour en images sur le sculpteur Isamu Noguchi.

Œuvre ultime de l’artiste Isamu Noguchi, à laquelle il consacra 30 ans de sa vie. Les lampes Akari sont des créations iconiques qui recèlent de mystérieuses subtilités. Ces lampadaires sont composées de papier japonais, de bambou et de métal. Toutes réalisées à la main, elles épousent les formes dessinées par l’artiste. Leurs caractéristiques : une légèreté et la transparence du papier « washi », feuille de mûrier, aux couleurs de l’ivoire.

 

 

« Je conçois Akari au Japon au printemps 1951, rationalisant l’électricité et les lanternes, mais c’est plus que cela ; une extension logique de mon être au Japon et de mon intérêt. »

Isamu Noguchi, sculpteur

Chaque modèle de lampes Akari laisse ainsi pleinement coexister l’ombre et la lumière en harmonie. Une louange du clair/obscur que l’on retrouve aussi au Japon, théorisé par Junichirò Tanizaki, et qui est une esthétique essentielle. L’ombre est un refuge pour la lumière qui dévoile une beauté discrète et subtile.

Florilèges des lampes Akari à Paris

Les Akari regroupent de nombreuses dualités avec lesquelles elles composent toujours avec délicatesse : ombre/lumière ; tradition/modernité ; matériel/immatériel ; défini /indéfini ; unique/multiple ; orient/occident ; design/sculpture. Autant de pôles que de ponts construits par l’artiste pour atteindre ce point d’équilibre, cette grâce mystérieuse qui éclot en chacun de ses modèles.

Akari, L4, abat-jour originel en washi et nervures en bambou, 1951 – Wa design Gallery © Jean-Pierre Vaillancourt
Akari, L4, sigle iconique rouge du Soleil et de la Lune – Wa design Gallery © Jean-Pierre Vaillancourt

Cette alchimie prend aussi à chaque fois un rythme propre et unique par la forme dessinée par l’artiste. Toujours en des formes épurées,

  • de la colonne ( D et 31 P) ;
  • de la double corne (33 S) ;
  • de la sphère (75 A),
  • du cube,
  • de la pyramide;
  • de l’hélix,
  • de la torsade (cf. M, J, JP, L, J1).

 

On en dénombre à ce jour près de 240 modèles. Des motifs répétés qui semblent fonctionner comme les lettres d’un alphabet, un répertoire de signes, ou un langage que l’on retrouve aussi dans d’autres de ces œuvres.

« La sculpture est une expérience qui est large et implique l’environnement total. »

Isamu Noguchi, sculpteur

Lampadaire Akari 25N et Kagami mochi

L’Akari 25N présente la même forme qu’un Kagami mochi, gâteau offert le Ier de l’an. Elle témoigne du fait que l’artiste essaie en permanence d’intégrer la culture japonaise dans ses œuvres.

Akari, 25N, abat-jour originel en washi et nervures en bambou, 1951 – Wa design Gallery © Jean-Pierre Vaillancourt

Cette Akari mesure 117 cm de hauteur, et un second modèle plus petit existe aussi, la 24N.

Akari, 24N, abat-jour originel en washi et nervures en bambou, 1951 – Wa design Gallery © Jean-Pierre Vaillancourt

 

 

Lampes Akari en colonnes lumineuses

Les colonnes, quant à elles, font directement écho à l’œuvre de Brancusi. Isamu Noguchi travaille à partir de tubes auxquels il donne diverses formes qui s’avèrent très brancusiennes. Les modèles 30N, A ou encore E l’incarnent parfaitement.

Akari E (rare), abat-jour originel en washi et nervures en bambou, 1951 – Wa design Gallery © Jean-Pierre Vaillancourt
Akari, 33N, abat-jour originel en washi et nervures en bambou, 1951 – Wa design Gallery © Jean-Pierre Vaillancourt
Akari, 34N, abat-jour originel en washi et nervures en bambou, 1951 – Wa design Gallery © Jean-Pierre Vaillancourt

 

 

Luminaire Akari en forme de sphère

Autre catégorie, les sphères ! Les Akari 75A ; BB3-60F ; BB1-30D illustrent que ces pièces constituent de véritables sculptures de l’espace.

Akari, 75A, sigle iconique rouge du Soleil et de la Lune – Wa design Gallery © Jean-Pierre Vaillancourt

Sur une sphère, le numéro du titre indique le diamètre de l’Akari, et la lettre, sa nervure. L’artiste change les nervures en bambou, et joue avec les formes de ses Akari.

Akari, 75A, abat-jour originel en washi et nervures en bambou, 1951 – Wa design Gallery © Jean-Pierre Vaillancourt

La lettre du titre désigne, quant à elle, le type de nervure : pour exemples, lettre A pour les Akari au maillage fin régulier et serré, D en forme de vague avec des “nervures aléatoires”, F pour ses nervures “Fines aléatoires”.

Akari, BB1, 30DD, abat-jour originel en washi et nervures en bambou, 1951 – Wa design Gallery © Jean-Pierre Vaillancourt

Les « BB » sont des structures en bambous, iconiques dans l’histoire d’Akari, de diverses tailles pour créer plusieurs types de lampes.

Akari, 55D, BB3, abat-jour originel en washi et nervures en bambou, 1951 – Wa design Gallery © Jean-Pierre Vaillancourt

Lampe Akari BB3-33S et Mississippi Fountain

La BB3-33S est l’une des premières créations de l’artiste. Une fontaine, Mississippi Fountain (1962), reprendra les mêmes formes, dix ans plus tard.

Akari, BB3-33S, abat-jour originel en washi et nervures en bambou, 1951 – Wa design Gallery © Jean-Pierre Vaillancourt

Ces rapprochements permettent de mieux appréhender le langage formel créé au fur et à mesure par l’artiste. Et plus largement, l’analogie entre les fontaines d’Isamu Noguchi et les Akari prouve l’entre-deux permanent et le balancement constant entre ses différentes pratiques artistiques.

Akari, 1AY, abat-jour originel en washi et nervures en bambou, 1951 – Wa design Gallery © Jean-Pierre Vaillancourt

À regarder ces modèles, on relève des caractéristiques fonctionnelles communes : simplicité d’utilisation, résistance, et transport facilité car les Akari se plient toutes. D’un point de vue esthétique, les Akari renvoient à la philosophie Zen, en quête de simplicité, de naturel, de grâce, et de sérénité.

Pour éviter les contrefaçons, Isamu Noguchi se tournera aussi vers l’asymétrie alors que le sceau de la lune et du soleil, placé sur l’abat-jour, garantit son authenticité.

Akari, 33N, sigle iconique rouge du Soleil et de la Lune – Wa design Gallery © Jean-Pierre Vaillancourt

Véritables totems sémantiques marqués du sceau des symboles du soleil et de la lune comme preuve de leur authenticité, les Akari font aussi appel dans leurs formes épurées et longilignes aux œuvres de Brancusi ou dans leur flottement en apesanteur des sculptures de Calder.

Si la tradition et la modernité les habitent, c’est aussi par leur diffusion à grande échelle que l’artiste concrétise son autre tour de force. Réalisées à la main, chaque modèle d’une série est un travail d’orfèvre, une pièce unique aux modèles reproductibles, un multiple d’un même objet, à même d’être distribué dans le monde entier…

Akari, 11A, abat-jour originel en washi et nervures en bambou, 1951 – Wa design Gallery © Jean-Pierre Vaillancourt

 

 

Exposition des 70 ans de Akari à la Wa design gallery

Du 25 juin au 23 juillet 2021, pour les 70 ans de la création des lampes Akari, Wa Design Gallery rassemble et expose 70 modèles vintage. En outre, elle a répertorié et identifié plus de 240 modèles différents dans le catalogue de l’exposition. Ce remarquable ensemble témoigne du génie d’Isamu Noguchi : chacune de ces Akari dévoile des formes toujours plus représentatives de son art. En travaillant ces multiples formats, l’artiste repoussait toujours la limite des possibles en terme de fabrication.

En apesanteur – Florilège de lampes Akari, 2018 – Wa Design Gallery © Jean-Pierre Vaillancourt

Allumer une Akari, c’est certes allumer une lampe mais c’est aussi allumer une sculpture. Les Akari sont multidimensionnelles, tant dans leurs formes que dans leur nature : Isamu Noguchi était le seul à pouvoir créer cette œuvre protéiforme, à nous désormais de la comprendre et de l’apprécier à sa juste valeur en embrassant tous ses aspects et en acceptant de décentrer notre référentiel.”

Thibaut Varaillon, auteur d’Akari, Les chemins de la lumière

Wa Design Gallery au 26 place des Vosges à Paris a pour vocation de faire entrer en résonance les œuvres de designers japonais et français. Au-delà des époques et des frontières, l’équipe partage une même culture de l’épure. Elle est constitutive des arts traditionnels nippons mais aussi du modernisme occidental :

  • Christophe Magnan, directeur de publication,
  • Philippe Brieallard, qualité de producteur,
  • Thibaut Varaillon, chercheur et auteur.

Dans la pure tradition des lanternes japonaises, la fabrication des Akari était confiée à Ozeki, une entreprise familiale au savoir-faire ancestral. Avec l’utilisation du washi, c’est un jeu subtil entre l’ombre et la lumière qui s’entame, une danse où les ombres projettent les formes propres de l’œuvre, dans une atmosphère feutrée et mouvante.

Isamu Noguchi, sculpteur, 1904–1988

Isamu Noguchi, fils du poète japonais Yonejirō Noguchi (1875-1947) et de la journaliste américaine Léonie Gilmour (1873-1933), naît, à Los Angeles, en 1904.

Abandonnée par Yonejirō Noguchi, Léonie Gilmour, mère célibataire, part pour le Japon, avec son fils, en 1907. En s’installant au Pays du Soleil Levant, la journaliste, qui devient professeure, espère permettre à son fils de devenir un authentique japonais.

Isamu Noguchi grandit, pendant 11 ans, à Tokyo puis à Chigasaki (préfecture de Kanagawa), avant de rejoindre seul les Etats-Unis, en 1918. Après s’être senti rejeté par son père qui ne le reconnaîtra jamais, il se sent abandonné par sa mère qui le fait revenir seul, adolescent, aux Etats-Unis.

Alors qu’au Japon il commence à se faire appeler Isamu, il se prénomme Sam dès son retour sur sa terre natale. Par ailleurs, son père lui interdit de porter son patronyme, ce qu’il enfreint à l’âge adulte, en provoquant des conflits avec Yonejirō Noguchi. Ballotté entre deux parties du monde s’opposant, il semble avoir traversé la vie, en quête de reconnaissance : celle de son père, et plus largement celle du Japon.

Akari, BB3-L1, abat-jour originel en washi et nervures en bambou, 1951 – Wa design Gallery © Jean-Pierre Vaillancourt

Dès 1924, le jeune homme entre à la Leonardo da Vinci Art School (New York), et y suit entre autres les cours de sculpture d’Onorio Ruotolo. En 1926, l’exposition de Constantin Brancusi à la Brummer Gallery marque un tournant décisif dans la vie d’Isamu Noguchi, et il devient l’assistant du sculpteur, un mois après son arrivée à Paris en 1927. Cette période passée à l’atelier du maître marquera profondément Isamu, tant sur le plan artistique qu’humain. L’on peut relever aujourd’hui de multiples influences brancusiennes dans ses sculptures et ses Akari…

 

 

S’il organise ses premières expositions à New York, il entreprend nombre de voyages entre l’Orient et l’Occident. L’artiste réalise aussi des œuvres à Los Angeles, Tokyo ou encore Sapporo… Au cours de sa carrière, il reçoit notamment beaucoup de commandes au Japon. Celles-ci, parmi lesquelles un pont dans le Parc du Mémorial de la Paix de Hiroshima, lui procurent enfin un sentiment d’acceptation.

L’artiste américano-japonais crée sa première Akari en 1951, et en réalise jusqu’à son décès, le 30 décembre 1988 à New York. Une invention qui l’inspira, le mobilisa toute sa vie ! Et, encore aujourd’hui, les Akari se voient distribuées à travers le monde entier alors que la même entreprise séculaire, Ozeki, les produit depuis leur création en 1951.

Akari, les chemins de la lumière, Paris – affiche 2021 – Wa Design Gallery © Jean-Pierre Vaillancourt

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Équipe du projet

Maître d'ouvrage Wa design gallery Christophe Magnan Philippe Brieallard Thibaut Varaillon
Sculpteur Isamu Noguchi Constantin Brancusi

Lieu

  • Wa design gallery
  • Paris, France

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Rédacteur en chef et éditeur du portail Light ZOOM Lumière depuis 2012. Architecte diplômé de l’École nationale supérieure d’architecture de Nantes. Éclairagiste par passion depuis 1997 en Europe. Auteur de sept ouvrages de référence sur la lumière, l'éclairage, la ville et le bâtiment. Enseignant en éclairage à l’ENSA Nantes et à l’ENSATT Lyon.
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