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L’éclairage public et intérieur perdent-ils la boule ?

Forme idéale pour les contemplatifs, les boules lumineuses sont-elles devenues une aberration pour les éclairagistes ?
28 mars 2023

Les luminaires de type boule sont en voie de disparition dans le paysage nocturne de nos villes. Les derniers devront être remplacés au plus tard le 1er janvier 2025 afin de respecter l’arrêté du 27 décembre 2018 contre les nuisances lumineuses. Ils avaient pourtant une vertu pédagogique indéniable : ils illustraient jusqu’à la caricature tout ce qu’il ne fallait pas faire en matière de conception optique.

Trois grandes catégories d’éclairage public – Image extraite du livret « Trop éclairage nuit », Anpcen © University of Texas, MacDonald Observatory, 2002

L’arrêté exige que les nouveaux luminaires pour l’éclairage public n’émettent aucune lumière au-dessus de l’horizon avec une tolérance de 1 % du flux total émis à la fabrication et de 4 % à l’installation. Une subtilité qui ne concerne pas les luminaires de type boules puisque ces derniers émettent plus de 50 % du flux lumineux vers le haut. Pour la sobriété lumineuse et énergétique, difficile de faire pire !

La boule, un luminaire résidentiel des années 1950

Pour expliquer cette aberration écologique et économique, il est utile de se replacer dans les années 1950, quand ces luminaires ont été conçus.  Après-guerre, de nombreux quartiers résidentiels et les premiers lotissements sortent de terre. La préservation du ciel nocturne, et par conséquent de la biodiversité, ainsi que la réduction des consommations d’énergie ne font pas partie des préoccupations de l’époque. Fixées sur candélabre à une hauteur relativement faible, les boules lumineuses offraient un éclairage diffus peu éblouissant.

Ballons fluorescents en éclairage public © phozagora.free.fr

Ces luminaires étaient souvent équipés d’un « ballon fluorescent ». Il s’agit d’une lampe à décharge au mercure à haute pression placée dans une enveloppe dont la paroi interne est recouverte de poudre fluorescente. Cette technologie, à présent complètement obsolète, se démarquait des lampes à incandescence alors utilisées en éclairage public par ses performances. Le ballon fluorescent placé dans une sphère de polyéthylène opale donnait une esthétique géométrique qui semblait convenir à ces nouveaux quartiers.

Une sphère pour enfermer la flamme

Concevoir une source d’éclairage qui aurait une forme sphérique tel un petit soleil paraît une idée assez naturelle. Il faudra pourtant attendre le XIXe siècle pour que celle-ci se concrétise. Les flammes des lampes à huile, des chandelles et des bougies n’ont rien d’une sphère. La solution serait de les enfermer dans un matériau translucide sphérique. La lampe d’Argand et ses dérivés vont permettre cette opération. Il s’agit d’abord d’un cylindre en verre améliorant le tirage de la flamme.

Au début du XIXe siècle, des modèles de lampes à pied placent le réservoir d’huile autour du brûleur dans une sphère en verre parfois décoré ou dépoli. Ces lampes « astrales » vont participer au décor des intérieurs bourgeois.

Le couple de peintres danois Anna et Michael Ancher se représentent le soir venu en train de regarder l’œuvre qu’ils ont peinte en journée. Au centre de la composition trône la lampe sphérique, tandis que son double se reflète dans le miroir.

Anna et Michael Ancher, Appraising the Day’s Work, 1883 – Statens Museum for Kunst, Copenhague © Villy Fink Isaksen, Wikipédia

Féerie des globes lumineux électriques

Avant l’invention d’Edison, les premières lampes électriques étaient des lampes à arc. Les grands magasins sont parmi les premiers à s’équiper de telles lampes placées dans des globes opales.

La porte Marengo, éclairée à la lumière électrique – Grands magasins du Louvre, Paris 1877 – BnF, département des Estampes et de la photographie, Va 232 [c] © Bibliothèque nationale de France
Dans le roman Au bonheur des dames, Zola décrit avec talent cette nouvelle lumière plus intense, plus blanche, et également plus fixe que l’éclairage au gaz alors employé.

« Et, dans ce jour mal éteint encore, s’allumaient, une à une, des lampes électriques, dont les globes d’une blancheur opaque constellaient de lunes intenses les profondeurs lointaines des comptoirs. C’était une clarté blanche, d’une aveuglante fixité, épandue comme une réverbération d’astre décoloré, et qui tuait le crépuscule. Puis, lorsque toutes brûlèrent, il y eut un murmure ravi de la foule, la grande exposition de blanc prenait une splendeur féerique d’apothéose, sous cet éclairage nouveau. »

Émile Zola, Au bonheur des dames, 1883

C’est le même éblouissement que devait provoquer l’allumage des globes lumineux sous les verrières de l’hippodrome de l’Alma à Paris, prolongeant en soirée la féerie du spectacle représenté par le peintre James Tissot, dit Coïdé.

James Tissot, Ladies of Chariots – Ces dames des chars – 1885 – Ecole de design de Rhode Island, États-Unis © Rhode Island School of Design Museum

Les boules de lumière : forme et fonction

Avec la lampe à incandescence, Edison invente une forme qui va devenir iconique et sera reprise jusqu’à aujourd’hui pour les lampes de substitution LED. Parmi les variantes pour l’enveloppe translucide, la forme sphérique est toujours proposée et permet d’utiliser la lampe nue avec un certain esthétisme.

Quand la lampe doit être placée dans un luminaire, les designers du XXe siècle ont souvent attribué la forme sphérique à la fonction d’éclairer. Ainsi, en 1926, lorsqu’il fallait concevoir des luminaires pour la nouvelle école du Bauhaus à Dessau, Marianne Brandt ou Wilhelm Wagenfeld ont imaginé des globes lumineux.

Marianne Brandt, plafonnier DMB26, éclairage intérieur, 1926 © Tecnolumen

En 1931, le designer italien Gio Ponti pousse l’épure géométrique à son paroxysme. Pour sa lampe de table Bilia, la boule lumineuse semble reposer comme par magie sur un pied conique opaque.

Gio Ponti, lampe de table Bilia, éclairage interieur, 1931 © Fontana Arte

De diverses matières, couleurs et textures, les abat-jour optent aujourd’hui encore souvent pour une forme sphérique. La translucidité peut par exemple être obtenue avec du papier japonais, comme pour les lampes Akari de l’artiste Isamu Noguchi.

Akari, BB1, 30DD, abat-jour originel en washi et nervures en bambou, 1951 – Wa design Gallery © Jean-Pierre Vaillancourt

Plaidoyer pour un usage éphémère des boules lumineuses

Définitivement bannies pour l’éclairage extérieur, les boules lumineuses sont encore tolérées en intérieur pour leurs fonctions décoratives. Mais ce n’est peut-être qu’un sursis tant la chasse au moindre watt jugé comme non essentiel est pratiquée, parfois sans discernement. Lançons donc un plaidoyer pour la sauvegarde de ces boules de lumière et pour un usage plus éphémère permettant de retrouver un émerveillement similaire à celui que décrivait Zola.

Murmuration, Squidsoup, place des Jacobins – Fete des Lumières Lyon 2022 © Vincent Laganier, Light ZOOM Lumière

Lors de la fête des Lumières 2022 à Lyon, une constellation de 1 000 boules lumineuses survole la fontaine de la place des Jacobins. Ondulant légèrement avec le vent, elles sont animées par de délicats changements de couleur. Appelée Murmuration, cette installation telle une nuée d’oiseaux lumineux offre une pause poétique bienvenue qui contraste avec le tumulte visuel et sonore des rues voisines. Et si ces boules lumineuses incarnaient pour une fois une idée de sobriété ?

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En haut de l’article : boules diffusantes, éclairage intérieur, suspension au plafond © Vichailao, iStock

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Enseignant-chercheur, Lionel Simonot enseigne l’éclairagisme depuis 2003 à l’École nationale supérieure d’ingénieurs de Poitiers – ENSI Poitiers : cours magistraux et pratiques en photométrie, technologie des sources de lumière, dimensionnement électrique et interactions lumière matière. Ses activités de recherche portent sur les propriétés optiques et l’apparence des matériaux, notamment via le GDR APPAMAT. Applications : films minces nanocomposites, couches de peinture en glacis ou vernis et objets obtenus par impression 3D. Il est auteur de la transposition du livre de Pierre Bougueur, Essai d’optique sur la gradation de la lumière, du livre rétrospectif et prospectif, Éclairage et lumière du IIIe millénaire, 2000-2050, aux éditions Light ZOOM Lumière en 2021.
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