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La lumière LED est-elle dangereuse pour la rétine ? Fiction ou réalité

Quelle est l’influence de la lumière LED sur la rétine ? Analyse documentée des risques liés à la lumière : la brillance et le spectre.
15 février 2016

La lumière LED est-elle dangereuse pour la rétine ? Dans cet article nous décryptons un sujet qui revient de manière cyclique, l’influence de la lumière sur la rétine. Nous ne couvrirons pas les effets « circadiens » abordés dans un billet précédent. Notez tout d’abord que l’opinion présentée ici est la mienne, et n’implique personne d’autre.

Rapport ANSES

D’abord, un peu d’historique. La mise en avant d’un risque « potentiel » de la « lumière LED » est apparue en octobre 2010 dans le rapport ANSES : Effets sanitaires des systèmes d’éclairage utilisant des diodes électroluminescentes (LED). Une lecture attentive est recommandée.

Notez ensuite que j’ai un immense respect pour l’ANSES qui a un rôle de gardien et une position indépendante quasi-unique au monde. Pour avoir traité avec plusieurs agences publiques du même type à l’international, l’ANSES est utile et précieuse ! Ma critique sera plus sur l’utilisation « tragédique » – au sens théâtral et à mon sens fausse – du message contenu dans le rapport et l’effet de rebond via des articles et des blogs qui n’ont pas lu le rapport.

Le seul reproche fait à l’ANSES sera d’avoir validé l’ « executive summary », qui selon moi, ne résume pas le rapport et alimente l’ « effet tragédie ». Le contenu est relativement obscur pour quelqu’un qui ne connait pas le sujet, et ce résumé, une fois de plus selon moi, est bien plus négatif que le contenu.

Mais revenons au contenu ! Dans ce rapport, je cite :

« La société OSYRIS [spécialisée en lasers médicaux et industriels] s’est inquiétée […] des possibles impacts des LED sur la rétine. Dans ce courrier était souligné le lien possible entre l’exposition de l’œil à des rayonnements de longueurs d’ondes courtes, proches des ultraviolets (caractéristiques des spectres lumineux des LED) et le risque d’induire une pathologie oculaire : la dégénérescence maculaire ».

Cette étude, relayée en lecture partielle a grand bruit dans les médias, est devenue « les LEDs sont dangereuses » sur nos grandes chaines d’information nationales… Elle montre en réalité surtout un moyen de mesurer ce risque. Les mesures effectuées sont plutôt positives sur les LEDs. Ce rapport a aussi eu l’immense mérite de mettre en avant la norme NF EN 62471 qui définit une méthode de mesure.

Description du risque de la lumière bleue

Le risque lié à une lumière, quelle qu’elle soit, est de deux types : la brillance et/ou le spectre.

Dans le rapport ci-dessus, le risque, vient, je cite : « du déséquilibre spectral des LED (forte proportion de lumière bleue dans les LED blanches) ; des très fortes luminances des LED (fortes densités surfaciques d’intensité lumineuse émises par ces sources de taille très faible) ». Regardons de plus prêt la luminance.

Schéma représentant les paramètres de la définition de la luminance - Notion etendue geometrique © Jean-Jacques Milan - Wikipedia
Schéma représentant les paramètres de la définition de la luminance – Notion etendue geometrique © Jean-Jacques Milan – Wikipedia

Analyse du risque : la luminance

La luminance est un risque que l’on mesure par une unité au nom exotique, le Troland (Td), le « niveau rétinien ». On le calcule simplement par T=L*A avec :

  • L : la luminance de la source en cd/m²,
  • A : le diamètre de la pupille, environ 10 mm² (millimètre carré).

Une valeur supérieure à 10 000 cd/m², soit 100 000 Td, est considérée comme gênante. Dans la suite de cet article, on parlera de luminance, voire simplement flux/taille de source, vu que nous comparerons des valeurs relatives (et toutes proportionnelles au Troland).

Luminaire et luminance

Maintenant, du côté de l’application éclairage, définissons un luminaire. Une source lumineuse, une optique, et un peu de mécanique et d’électronique.

Si l’on pense LED, une LED sans optique secondaire (lentille) peut atteindre des valeurs importantes. Par exemple, une source à 1 000 lm, sur un faisceau de type phare, peut atteindre le million de candelas.

Coté produits, à ma connaissance, les seuls luminaires où les LEDs sont visibles et proches sont les réglettes linéaires ou les lampes torches.

  1. Les réglettes : on favorise des LEDs type PLCC, communément appelés « mid power », qui ont une luminance très faible.
  2. Les lampes torches : le risque me parait similaire à celui du soleil « ne pas fixer en face ». La gène intervient immédiatement.

Coté chiffres, on peut faire une comparaison simple. Pour faire un faisceau parallèle, imaginez un luminaire ayant une optique optimisée que vous observez à une distance donnée (la même pour toutes les technologies, disons 10 cm). On peut éviter quelques calculs en regardant simplement la densité de lumière de chaque source et en prenant en compte une « optique optimale ». La valeur obtenue donnera une figure de mérite et de « dangerosité » avec l’avantage d’être facilement calculable (et proportionnelle au cd/m² et au Troland).

Source lumineuse et luminance

On peut donc comparer les risques des sources (pour la brillance) par leur brillance et leur taille. Définissons simplement une figure de mérite de brillance, le rapport brillance/surface.

  • La LED elle-même, ayant une puce de 2 mm², à 700 mA, et son dôme en silicone doublant la surface apparente, émet environ 300 lm (100 lm/W) sur une surface apparente de 4 mm². On obtient une brillance avec une unité arbitraire, pour comparaison (figure de mérite de 75).
  • Une LED de forte puissance sans dôme, ce qui est peu commun (figure de mérite 150).
  • La LED de type « mid power » sera plutôt autour des 50 lm avec une surface émissive de 10 mm² (figure de mérite = 5)

Le même calcul pour d’autres sources :

  • Le soleil : 6,84*10^-5 stéradians à midi, soit l’équivalent d’une source de 68 mm² à 1 m, selon notre rapide calcul, figure de mérite environ 1000 (clairement très dangereux).
  • Lampe à décharge haute intensité, dite HID en anglais : prenons une de ces lampes au hasard. Sur cet exemple, le filament fait 5 mm² et on obtient environ 4 000 lm. La valeur ci-dessus devient donc une figure de mérite de 800.
  • Halogène : 3 mm², 1 000 lm, on obtient une figure de mérite de 300.
  • Incandescence : 10 mm² (filament « moderne » sans boucles, lampe transparente), 600 lm (lampe 60 W) : figure de mérite 60.
Soleil couchant - Photo Vincent Laganier
Soleil couchant – Photo : Vincent Laganier

Nous obtenons donc les risques suivants, en risque décroissant de luminance :

  1. Le soleil
  2. Les lampes à décharge haute intensité
  3. Les lampes halogène
  4. Les lampes à incandescence et les LED sans optique
  5. Les LED avec optique

Notez que les tubes fluorescents sont encore meilleurs (classés derrière) que les LEDs sur la luminance, et les OLEDs de type « panneau ».

Donc, en luminance, le risque parait quelque peu exagéré pour une exposition à la télévision (et passage au « 20H » comme ce fut le cas en 2010). En bref, je recommande de ne pas regarder un phare en face à 10 cm, quelle que soit la technologie d’éclairage !

 

Analyse du risque : le spectre

L’analyse de ce risque est plus subtil. La courbe de sensibilité de l’œil, en colorimétrie notée Y, est une courbe dont le pic est à 555 nm.

Courbe efficacite des yeux, diurne et nocturne © Sch - Wikipedia
Courbe d’efficacité de l’œil humain, diurne et nocturne © Sch – Wikipedia

Cette courbe indique la sensibilité de l’œil selon la longueur d’onde. Pour des raisons d’évolution, notre œil est plus sensible dans le vert (555 nm) et très peu dans le bleu.

La LED blanche est, dans l’immense majorité, une LED émettant du bleu, dont on convertit l’énergie en blanc. En général, le pic de bleu se situe à 450 nm.

On voit bien que la sensibilité de l’œil est faible à cette valeur, conduisant à un risque de ne pas adapter le diamètre de la pupille, et donc un risque rétinien si le flux de bleu est trop fort par rapport au reste du spectre (l’œil croit ne rien voir).

Toutefois, et le rapport ANSES est clair sur ce point, ce risque apparait pour les LEDs blanc froid et est inexistant en blanc chaud et neutre.

Colorimétrie et spectre

La raison est plutôt colorimétrique car il est difficile de faire du blanc froid sans bleu.

Le risque apparaitra plus fortement si on s’éclaire, à des intensités fortes, en bleu royal. Mais l’œil y étant quasi insensible, ce sera un dispositif d’éclairage fort peu utile… Par contre, le risque réel est bien souligné par le rapport ANSES : il concerne le monde du jouet. Gare aux LEDs « royal blue » de forte puissance dans les mains de vos enfants !

LED bleue - Photo : Vincent Laganier
LED bleue – Photo : Vincent Laganier

Pour répondre et analyser le « risque LED » en blanc froid, comparons avec d’autres technologies d’éclairage. Par exemple, la lampe fluorescente compacte, dite CFL. Que voit-on dans ce spectre ? Un pic de vert, de rouge et de bleu, à 430 nm. Ce spectre est similaire à un spectre de source rouge-vert-bleu – RVB – à LED.

cfl
Source : candlepowerforums.net

Si l’on regarde une source HID (lampe xénon) : surprise, un pic de bleu existe aussi.

hid
Source : reefcentral.com

Si maintenant nous considérons le soleil de midi, au niveau de la mer, on obtient dans le spectre un blanc froid également. Regardons dans le bleu (450-460 nm), le pic est présent (et l’irradiance est même terrifiante, 1,5 W/m²/nm) !

sun
Spectre solaire © Wikipédia

Donc le risque traduit par « la lumière LED est dangereuse » est en fait un risque colorimétrique. Évitez le blanc très froid car il y faudra du bleu !

En conclusion, le rapport ANSES fut une vraie avancée en mettant le doigt sur un risque potentiel et en mettant en avant un test pour le cadrer. L’effet présenté de toxicité est réel et clairement montré.

L’utilisation du résumé « à charge » des premières pages du rapport et la lecture partielle faite de ce rapport par les journalistes dans son exploitation médiatique furent un véritable désastre pour l’industrie française de l’éclairage, principalement les petites entreprises.

En 10 ans de développement de produits LED, je n’ai vu que du risque 0 et 1, et cela inclut des luminaires de stade à 200 000 lm en blanc froid. Dans tous les cas, la gêne (trop brillant) intervient bien avant un quelconque risque.

Toutefois la question et la « peur » sont toujours présentes, nécessitant un support client dans certains cas supérieurs au capacité d’une PME.

En conclusion

Si vous êtes fabricant de luminaire

  • Faites passer religieusement la norme NF EN 62471 à tous vos produits. La mesure prend une journée maximum par type de produit, c’est rapide et peu cher dans un bon labo.

Si vous êtes utilisateur de produit LED

  • Une lumière blanc chaud ou neutre sera sans problème.
  • Une lumière froide à des flux faibles. Si elle émet des flux importants, soyez loin !
  • Évitez de vous éclairer en intérieur avec des luminaires de stade, par exemple, ou exiger la norme NF EN 62471.
  • Et surtout, surtout, ne regardez pas le soleil en face.
  • N’éclairez pas votre salon en bleu royal uniquement (et c’est idiot vous n’y verrez rien).
  • Et ne restez pas en face à 10 cm de vos phares de voiture au Xénon.

 

Approfondir le sujet

Suite de l'article

Lieu

  • Pi Lighting
  • Sion, Suisse

Livres

Lumières du futur, de Libero Zuppiroli et Daniel Schlaepfer

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Les LED pour l'éclairage, fonctionnement et performances, de Laurent Massol, Dunod

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Physicien de formation, Benoit Bataillou est membre de la société de conseil en R&D Pi Lighting, avec une forte compétence LED. Auteur ou co-auteur de 30 brevets et de plus de 50 publications, c’est un expert dans le domaine des LED et de l’automatisation depuis 2006. Sa passion : transformer les idées en produits et en applications concrètes.
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