Effets de lumière bleue : Erik Selmer, architecte concepteur lumière
Pendant les conférences Light Focus 2004 organisées par le Salon de Francfort, PLDA et le ZVEI à l’occasion de la Light & Building, Erik Selmer a fait un exposé très intéressant sur ce qui fait la qualité d’un concepteur lumière. L’exposé était intitulé « From the low-key to the spectacular ». Il traitait de son attitude à l’égard de la lumière bleue. Interview
Erik Selmer, architecte, concepteur lumière
Trondheim, Norvège
Muséum d’histoire naturelle, Bergen, Norvège (1995)
La lumière réveille les rêves ! Après qu’Erik Selmer eut orienté quelques spots à lumière bleue vers le plafond, les squelettes de baleine ont commencé à flotter. Ce spectacle l’a convaincu d’utiliser la lumière bleue dans le musée d’histoire naturelle de Bergen.
Comment avez-vous utilisé la lumière bleue dans la salle des baleines ?
Erik Selmer : on m’a prié de donner un aperçu complet des possibilités dont la conception lumière dispose en éclairant le muséum d’histoire naturelle vieux de 150 ans. La salle des baleines est la pièce la plus précieuse du musée, pourtant elle n’est éclairée que par la lumière du jour. La nuit, alors que le lieu était plongé dans l’obscurité, je suis resté assis sous les squelettes de baleines géantes pour ressentir l’atmosphère de la salle.
ES : j’ai procédé d’après la méthode basée sur l’interprétation des rêves selon le père de la Gestalt-thérapie Fritz Perls. Je dirigeais de la lumière bleue sur le plafond de la salle à l’aide de quelques spots lumineux. Les baleines ont alors commencé à nager. C’était très impressionnant, et j’ai compris que la lumière bleue fait rêver, comme le vaste ciel bleu. C’est un défi pour notre imagination.
ES : par la suite, j’ai ajouté d’autres spots pour rendre visibles les détails des squelettes. Ces intensités d’éclairage plus faibles mettaient mieux en valeur ces derniers que cela n’avait été le cas avec la lumière naturelle beaucoup plus claire.
Le ciel de la Norvège a-t-il une signification particulière pour vous ?
ES : ce projet m’a incité à examiner la lumière bleue du ciel avec plus d’attention. Particulièrement au crépuscule, à l’heure bleue, la lumière est d’un bleu impressionnant et extrêmement beau. C’est de cette lumière que l’on parle quand, dans les contes norvégiens, des choses de la nature s’éveillent à la vie.
Avez-vous eu ensuite d’autres expériences de la lumière bleue ?
ES : j’ai commencé à expérimenter avec un buste et quelques spots lumineux. Quand seule une lumière bleue froide éclairait le buste du côté droit, cela engendrait un effet dramatique – semblable à la lumière bleue glaciale de la lune, la mort et la destruction.
ES : dès que j’ajoutais de la lumière jaune chaude de la gauche, le buste produisait une impression plutôt passionnée, rassurante et fantastique. Il semblait être éclairé par le soleil couchant.
ES : j’ai compris que ces émotions proviennent de la nature, de toutes les expériences que nous avons faites auparavant dans notre vie. Nous avons déjà vu ces scènes d’éclairage de nombreuses fois dans le passé et elles émergent de temps à autre de notre subconscient.
Tunnel de Laerdal, entre Bergen et Oslo, Norvège (2000)
Avec une longueur de 24,5 kilomètres le tunnel Laerdal en Norvège est le plus long tunnel du monde. Pour enlever sa monotonie au trajet de 20 minutes et sur les conseils du Centre de recherche de l’Université de Trondheim en Norvège, le tunnel a été divisé en quatre tronçons. Trois halls aux parois rocheuses de 30 mètres de diamètre ont été aménagés entre eux, à intervalles de six kilomètres.
Comment avez-vous abordé le plan d’éclairage pour ce projet ?
ES : après qu’un brainstorming ait été effectué avec quelques groupes créatifs et des tests au cours desquels différentes propositions avaient été testées dans le simulateur de conduite et n’ont pas conduit à des résultats satisfaisants, l’administration des routes a décidé qu’un concept d’éclairage devait être appliqué dans le tunnel.
ES : une chose importante que la simulation a permis de savoir est que, quand on roule à une vitesse de 80 km/h, le temps que l’on passe dans les tunnels est perçu comme étant très court parce que la lumière provenant des halls rocheux est déjà visible de loin. On a eu l’idée de donner aux conducteurs le sentiment que chaque tronçon entre les halls rocheux était un nouveau tunnel. Ainsi, le tunnel ne serait pas ressenti comme étant aussi long et angoissant.
Pourquoi avez-vous employé principalement de la lumière bleue dans le Tunnel de Laerdal ?
ES : l’idée de départ a été inspirée par la première phase d’un simple lever de soleil nordique : l’horizon, une chose à laquelle nous avons déjà tous assisté et à laquelle nous avons tous une bonne relation, une chose calme, consolante, belle. Je ne voulais pas créer un espace d’apparence entièrement naturelle mais offrir aux conducteurs la possibilité de réagir de manière associative face à un phénomène naturel. En même temps, je voulais produire différents effets de couleur en éclairant la structure inégale de la paroi de différents côtés.
Comment avez-vous réalisé les tests d’éclairage dans les halls rocheux ?
ES : le tunnel était en cours de construction et j’ai proposé de monter un modèle aux dimensions 1:1 dans le tunnel même. Les travailleurs de l’administration routière nous ont assistés dans cette entreprise et le fournisseur de luminaires a fait preuve d’une attitude très positive à l’égard du concept. Nous avons monté un spot mural halogène à vapeur métallique de 400 watts tout près du plafond.
ES : je l’ai recouvert d’un filtre bleu intense – d’une translucidité de cinq pour cent – que j’avais apporté du théâtre pour créer les couleurs appropriées. Il se produit alors quelque chose de pratiquement magique. Toute l’énergie présente dans cette lampe puissante s’est transformée en un bleu profond, presque comme de l’air éclairant. C’était comme si l’espace était rempli d’un son de basse puissant.
ES : ensuite, nous avons éclairé le sol d’une lumière jaune. C’était très beau et encore plus renversant que nous l’avions imaginé. Tous étaient ravis sans pouvoir dire pourquoi. Pas de détails intellectuels, mais seulement une ambiance fantastique.
Quelle méthode d’éclairage avez-vous choisie finalement ?
ES : la poussière abondante présente dans le tunnel rendait impossible l’utilisation de lampes halogène à vapeur métallique équipées de filtres en verres colorés. L’alternative qui s’offrait à nous était des tubes fluorescents colorés de 58 watts. Nous étions très impatients de les tester et il s’est avéré qu’ils constituaient la meilleure solution. Cela permettait de réduire les frais d’investissement et d’énergie de 50 pour cent.
ES : un mur en béton longeant sur le sol les flancs du hall cache les luminaires de telle sorte que les conducteurs ne les voient pas. J’ai fait tout mon possible pour assurer que les conducteurs ne soient jamais éblouis par les luminaires pendant qu’ils traversent les halls en voiture. C’est très important pour ne pas troubler le charme de la lumière. Si un luminaire produit des reflets éblouissants, l’illusion est détruite.
Extrait de l’article de Vincent Laganier, « Effects of blue light », Professional Lighting Design – PLD – magazine, N°40, page 30-35, novembre 2004, VIA – Verlag für Innovationen in der Architektur, Guetersloh, Allemagne.
Interviews de designers
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Citations
Suite de l'article
Introduction | Lumière bleue : définition et photobiologie |
Page 1 | Lumière bleue LED : 3 paramètres à prendre en compte |
Page 2 | Lumière bleue des écrans et smartphones : filtres ou lunettes ? |
Page 3 | Lumière bleue : éclairage des enseignes lumineuses |
Page 4 | Écrans connectés : les filtres lumières bleue sont-ils efficaces pour le sommeil ? |
Page 5 | La lumière LED est-elle dangereuse pour la rétine ? Fiction ou réalité |
Page 6 | Effets de lumière bleue : Yann Kersalé, plasticien lumière |
Page 7 | Effets de lumière bleue : Erik Selmer, architecte concepteur lumière |
Page 8 | Effets de lumière bleue : Jonathan Speirs, lighting designer |
Lieu
- Erik Selmer
- Trondheim, Norvège