Suppression des tubes fluo : serons-nous nostalgiques ?
Ça y est : à partir du 24 août 2023, il ne sera plus possible d’acheter un tube fluorescent. Ainsi en ont décidé le règlement (UE) 2019/2020 et la directive européenne 2011/65/UE sur la réduction des substances dangereuses. Cette annonce a été accueillie dans une indifférence polie, comme lorsque l’on apprend la retraite d’un sportif depuis longtemps relégué aux divisions inférieures. Après tout, quel est le problème ? La technologie LED, à présent mature et aux performances supérieures, va remplacer avantageusement les tubes fluorescents. C’est vrai, mais ce n’est pas si simple. Si vous fréquentez des salles de cours, si vous travaillez dans un bureau, il y a de fortes chances que des tubes fluorescents se trouvent encore au-dessus de vos têtes. La transition va être difficile. Par ailleurs, une autre question se pose : allons-nous les regretter ?
Tubes fluo, une nouvelle lumière rapidement décriée
Flash-back sur l’invention singulière de cette source de lumière. L’idée de créer une lampe fluorescente, c’est-à-dire recouverte d’une substance luminescente excitée par un rayonnement, lui-même émis par une décharge électrique, apparaît dès le milieu du XIXe siècle. En 1859, dans ses travaux sur la fluorescence, Edmond Becquerel décrit ce qui ressemble fortement à un prototype de tube fluorescent. Mais il faudra attendre la veille de la Seconde Guerre mondiale pour que les premiers tubes soient commercialisés. Un cheminement technique laborieux et une paternité difficile à établir. Le Philippin Agapito Flores ? C’est une fake news. Il s’agit plutôt d’une histoire de brevets entre les principaux fabricants de l’époque.
Utilisés dans les usines américaines dès la Seconde Guerre mondiale, les tubes fluorescents arrivent en Europe à la Libération. Une nouvelle lumière, plus proche de celle du jour, pour un nouveau monde ! Mais une déception, voire un rejet, succédera rapidement à cet émerveillement initial. La qualité de restitution des couleurs des premiers tubes est médiocre. Le terme « blanc industrie », synonyme de lumière blafarde, apparaît et va longtemps coller à la (mauvaise) image des tubes fluorescents.
La lumière du travail et les tubes fluorescents
Alors que l’incandescence est la lumière de la maison, la lumière fluorescente est celle du travail. Les tubes fluorescents accompagnent ainsi les Trente Glorieuses, l’essor du travail posté et par conséquent du travail de nuit, et le développement des emplois tertiaires. Ces applications, pas vraiment festives, masquent les qualités réelles de ces sources de lumière. En premier lieu, ce sont des lampes beaucoup plus efficaces que les lampes à incandescence, avec une durée de vie également nettement plus longue. Il faut attendre les années 2010 pour que les LED blanches constituent une lumière de substitution en éclairage tertiaire.
Entre-temps, les améliorations techniques liées aux tubes fluorescents sont également passées relativement inaperçues. Dans les années 1970, l’utilisation de poudres fluorescentes, dites tribandes (émettant dans le rouge, le vert et le bleu), améliore sensiblement la qualité de la lumière en matière de rendu des couleurs. Dans les années 1990, les ballasts, qui permettent de stabiliser le courant électrique, deviennent électroniques. Ils consomment moins d’énergie que les ballasts ferromagnétiques et permettent de grader le flux lumineux. Le pilotage centralisé de l’éclairage devient possible quelques années avant les LED !
Attention mercure dans les tubes fluo !
Au fil des années, les fabricants sont également parvenus à diminuer la quantité de mercure, réduite à seulement quelques milligrammes par tube. Mais ils n’ont pu transformer cette prouesse technologique en argument commercial, car il leur aurait fallu avouer la présence de ce gaz nocif. Le mercure est en effet essentiel, car c’est lui qui émet le rayonnement ultraviolet transformé en lumière visible par les poudres fluorescentes qui tapissent la paroi interne du tube.
D’autres gaz ont été testés en laboratoire, mais aucune solution n’a pu supplanter le mercure pour les lampes fluorescentes commercialisées. Il faut donc neutraliser le mercure des tubes fluorescents à remplacer. L’organisme Ecosystem (anciennement Récylum, créé en 2005) en a la charge, même si officiellement, l’accent est davantage mis sur la collecte et le recyclage des ampoules d’éclairage usagées.
Une lumière diffuse difficile à dompter
Les tubes fluorescents émettent une lumière diffuse qui est plutôt appropriée pour l’éclairage des bureaux. Les murs souvent blancs peuvent en effet contribuer indirectement à l’éclairement de la surface de travail. En contrepartie, le flux lumineux est plus difficile à diriger qu’avec une source plus ponctuelle comme le filament d’une lampe à incandescence. Les réflecteurs cylindro-paraboliques permettent de rabattre la lumière émise par les tubes vers le bas, mais avec des rendements relativement médiocres.
Placées perpendiculairement aux tubes, les ventelles d’un luminaire ont pour but de limiter la vue directe des lampes à partir d’un certain angle de vision. Ce sont les éléments indispensables pour réduire l’éblouissement.
Le passage des tubes T8 (26 mm de diamètre) aux tubes T5 plus fins (16 mm de diamètre) a permis de concevoir des luminaires avec des réflecteurs plus efficaces, mais comprenant aussi plus de ventelles, car la luminance d’émission est plus forte.
Des tubes fluo peu inspirants
Une lumière pas franchement écolo et qui nous fait penser au boulot… Les tubes fluorescents étaient jusqu’à présent sauvés par leurs performances exceptionnelles, qui sont aujourd’hui dépassées par celles des LED. Il y a donc peu de chances que les tubes cylindriques ne deviennent aussi iconiques que les lampes à incandescence. Malgré leur suppression, ces dernières ont conservé leur forme avec des ampoules dont le filament de tungstène a été remplacé par un filament LED.
Designers et artistes ont semblé moins inspirés par les tubes fluorescents. Ils leur ont préféré les formes et les couleurs variées des néons. Néanmoins, leur signature graphique rectiligne a parfois été exploitée. Impossible de ne pas citer ici les œuvres de Dan Flavin untitled : en disposant dans l’espace des tubes fluorescents achetés dans le commerce, il compose des réalisations lumineuses minimalistes, non dépourvues d’un certain mysticisme.
Comment interpréterons-nous les œuvres de cet artiste quand les tubes fluorescents ne seront plus commercialisés et auront perdu leur caractère trivial ? Face à ces lumières surannées, peut-être y verrons-nous des sortes de mausolées lumineux.
Aux tubes fluorescents, les LED reconnaissantes.
A suivre…
Suppression des tubes fluo : serons-nous prêts ?
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Livres
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Éclairage des passages pour piétons, de Maxime Van Der Ham
Le passage piéton en éclairage public. Pour la sécurité routière des passages piétons et les communes, dernier livre de Maxime Van Der Ham. |
Éclairage et lumière du IIIe millénaire, 2000-2050, un livre collector
Depuis 20 ans, le phénomène éclairage vit une mutation sans précédent. Ville, architecture, conception lumière, pollution lumineuse. |
Cher Lionel, je ne pense pas que l’arrivée des tubes tribandes ait amélioré la qualité (l’IRC) mais seulement leur efficacité (100lm/W) il a fallu attendre qqs années supplémentaires pour retrouver une qualité acceptable (IRC>95) par un travail sur les couches fluorescentes suivi d’une baisse d’efficacité (<65lm/w). Aujourd'hui les tubes LED n'ont pas cette qualité (IRC<80) et le remplacement par des réglettes LED qui souvent n'ont pas toujours les qualités optiques que nous pouvons exigé en éclairage intérieur.
Merci Jean-Jacques pour ces précisions.
Je crois que le passage des halophosphates aux luminophores « tri bandes » a permis aux fabricants de gagner à la fois en efficacité lumineuse et en IRC qui atteint alors typiquement la valeur de 80 (c’était encore plus faible auparavant…). Tu as raison : les gammes « de luxe » affichant des IRC>95 ont été proposées plus tardivement (à partir des années 90 ?).
Avec les LED, les fabricants de luminophores rivalisent de propositions pour obtenir des lumières avec des IRC très élevés voire avec un spectre contrôlé (proche de l’incandescence, ou de la lumière du jour, ou avec plus ou moins de bleu pour le cycle circadien).
Malheureusement, l’éclairage général ne représente pas un très gros volume pour les fabricants de LED. Je pense que c’est pour cela que les luminaires LED standards présentent encore un IRC de « seulement » 80. C’est aux professionnels de l’éclairage de faire pression auprès des pouvoirs publics pour que le haut de gamme d’aujourd’hui devienne le standard de demain !
Les T8 sont apparu aux debuts des années 80′. Les T8 avec un IRC >90 en 1986. J’ai été un des premiers utilisateurs lors d’une exposition rétrospective de W. Turner au Grand Palais. C’était des tubes Philips.