Événement

Dan Flavin. Dédicaces en lumière

Pionnier de l’art minimal en tubes fluorescents colorés. Dan Flavin. Dédicaces en lumière au Kunstmuseum Basel | Neubau. Exposition jusqu’au 18 août en Suisse.

L’exposition « Dan Flavin. Dédicaces en lumière » a lieu au nouveau bâtiment du Musée d’art de Bâle, le Kunstmuseum Basel | Neubau. Elle célèbre l’artiste américain Dan Flavin (1933–1996), maître de l’art minimal connu pour ses œuvres en tubes fluorescents. Avec 58 pièces, dont certaines inédites en Suisse, l’exposition offre un voyage émouvant à travers l’univers unique de Flavin. Cette rétrospective, la première d’une telle ampleur depuis douze ans en Suisse, met en avant des œuvres dédiées à des personnes ou événements marquants.

Dan Flavin a révolutionné l’art en utilisant la lumière pour transformer l’espace. Ses tubes fluorescents, évoquant le quotidien industriel, défient les conventions de l’art et restent d’une radicalité saisissante. L’artiste a su captiver son public dès ses premières expositions à New York, impressionnant par la pureté et la brillance immédiate de ses « images gazeuses ».

untitled to Barnett Newman one, Dan Flavin, 1971 – Collection Carré d’Art-Musée d’art contemporain de Nîmes – Photo Florian Holzherr © Stephen Flavin 2024, ProLitteris, Zurich

L’artiste, qui a toujours refusé que ses créations soient catégorisées comme sculptures ou peintures, les considère plutôt comme des « situations », insistant sur leur objectivité. Dans ses écrits, il déclare :

 

« La lumière électrique n’est qu’un instrument parmi d’autres. Je n’ai aucun désir d’inventer des fantasmes médiumniques ou sociologiques à ce sujet ou au-delà. (…) Je fais tout ce que je peux chaque fois que je peux avec tout ce que j’ai, où que je sois. »

Dan Flavin

 

Dan Flavin, souvent associé à des artistes comme Carl André, Donald Judd, Sol LeWitt et Robert Morris, a marqué l’art minimal par son utilisation stricte d’objets industriels et la sérialité de ses œuvres, bien que ces artistes aient eux-mêmes des rapports ambigus avec cette étiquette.

untitled, to a man, George McGovern 2, Dan Flavin, 1972 – Guggenheim Abu Dhabi – Photo Florian Holzherr © Stephen Flavin 2024, ProLitteris, Zurich

Dan Flavin, l’artiste de la lumière qui défie l’interprétation

Dans le paysage artistique du XXe siècle, Dan Flavin se distingue par son approche minimaliste et son usage innovant de la lumière fluorescente. Bien qu’il réfute toute profondeur psychique ou spirituelle dans son art, préférant une réception spontanée, ses œuvres éveillent chez les critiques et le public des échos métaphysiques et christiques, des références aux espaces sacrés et aux lumières votives. Flavin, avec une pointe d’ironie, résume sa vision : « C’est ce que c’est et ce n’est rien d’autre ».

untitled to Don Judd, colorist 1-5, Dan Flavin, 1987 – Panza Collection, Mendrisio – Photo Florian Holzherr © Stephen Flavin 2024, ProLitteris, Zurich

Toutefois, l’émotion transparaît dans la pratique de Flavin de dédier ses créations à des personnalités ou des événements significatifs, souvent avec un sentiment palpable. Ses installations lumineuses, depuis 1963, rendent hommage à ses pairs comme Jasper Johns et Donald Judd, et s’inspirent de figures de l’art moderne telles que Matisse et Tatlin. Ces dédicaces insufflent une âme aux matériaux industriels, ancrant ses œuvres abstraites dans un contexte plus large.

monument 7 for V. Tatlin, Dan Flavin, 1964 – Bayerische Staatsgemäldesammlungen, Sammlung Moderne Kunst, Pinakothek Moderne München – Photo Florian Holzherr © Stephen Flavin 2024, ProLitteri

Dédicaces de Dan Flavin

Les titres jouent un rôle clé, notamment quand Flavin aborde des sujets politiques. Ses pièces anti-guerre prennent une dimension particulière à l’époque de la guerre du Vietnam, comme en témoigne son œuvre exposée au Jewish Museum de New York en 1966. Ces travaux, chargés d’histoire, révèlent une position engagée et profondément humaine.

L’exposition au Kunstmuseum Basel met en lumière cette facette émotionnelle, présentant des œuvres dédiées à des figures clés de sa vie, telles que Heiner Friedrich, fondateur de la Dia Art Foundation. Une œuvre de Flavin, la « barrière » lumineuse, est conçue pour limiter l’accès du public à une partie de la salle d’exposition.

untitled to you, Heiner, with admiration and affection, Dan Flavin, 1973 – Bayerische Staatsgemäldesammlungen – Sammlung Moderne Kunst, Pinakothek Moderne München – Photo Florian Holzherr © Stephen Flavin 2024, ProLitteris, Zurich

La dimension personnelle de Flavin est également mise en avant à travers des dessins et croquis, exposés aux côtés de ses célèbres installations. Ces œuvres, souvent méconnues, révèlent un artiste s’exprimant au-delà de la lumière, explorant la nature, le portrait et la conceptualisation de ses installations.

L’exposition bâloise ne se contente pas de montrer l’artiste sous un nouveau jour ; elle plonge dans le contexte socio-historique qui a vu naître ses premières expérimentations lumineuses, soulignant l’importance de ces travaux pionniers.

a primary picture, Dan Flavin, 1964 – The Dan Flavin Estate, courtesy of David Zwirner – Photo Florian Holzherr © Stephen Flavin 2024, ProLitteris, Zurich

Dan Flavin, en dépit de son apparente réserve émotionnelle, nous touche par la sincérité de ses hommages et la subtilité de son expression. Son œuvre, bien plus qu’un jeu de lumières, est un dialogue silencieux mais vibrant avec son époque et ses contemporains.

Prestigieux prêts d’œuvres et séries majeures

L’exposition réunit 35 installations lumineuses, 21 travaux sur papier, deux peintures des débuts de sa carrière rarement présentées, ainsi que plusieurs œuvres d’Urs Graf sélectionnées par Flavin pour l’exposition au Kunstmuseum Basel en 1975.

Certaines des œuvres présentées proviennent de prestigieuses collections publiques et privées et d’institutions parmi lesquelles le Guggenheim Abu Dhabi, la Pinakothek der Moderne de Munich, le Kunstforum Ostdeutsche Galerie de Ratisbonne, le Museum of Modern Art de New York et la Panza Collection de Mendrisio.

Grâce à l’étroite coopération avec la succession et le studio de l’artiste, la série untitled (for John Heartfield) sera visible dans son intégralité pour la première fois en Europe. Plusieurs des œuvres n’ont plus été exposées en public depuis des décennies.

Dan Flavin, parcours du plasticien lumière

Dan Flavin est né en 1933 et a grandi dans le Queens, à New York. Ses parents l’éduquent dans la tradition catholique irlandaise en espérant qu’il deviendra prêtre. À vingt ans, il suit une formation de météorologue durant son service militaire et passe les années 1954-1955 comme soldat en Corée du Sud.

En 1956, il revient à New York. Il s’essaie à différents parcours d’études, dont l’histoire de l’art à la Columbia University. Pendant trois ans, il gagne sa vie comme employé au service postal du Guggenheim Museum et comme surveillant au Museum of Modern Art et à l’American Museum of Natural History.

Dan Flavin, New York – 1970 – Photo Gianfranco Gorgoni © Maya Gorgoni

Autodidacte, Flavin dessine beaucoup et copie entre autres les maîtres anciens. Les peintures à l’huile, assemblages et constructions de ses débuts sont influencés par les peintres de l’expressionnisme abstrait et par le Néo-Dada d’un Jean Tinguely, Jasper Johns et Robert Rauschenberg. Son intérêt pour l’histoire de l’art russe, en particulier pour le constructivisme, donne une impulsion décisive à son travail.

À partir de 1961, Flavin travaille aux Icons, des objets en bois carrés qu’il peint avec sa compagne Sonja Severdija puis qu’ils ornent d’ampoules et de tubes fluorescents. En 1963, il réalise son premier ready-made constitué exclusivement de banals tubes fluorescents : the diagonal of personal ecstasy (the diagonal of May 25, 1963). Une nouvelle forme d’art est née.

alternate diagonals of March 2, 1964 to Don Judd, Dan Flavin, 1964 – The Dan Flavin Estate, courtesy of David Zwirner – Photo Florian Holzherr © Stephen Flavin 2024, ProLitteris, Zurich

En 1964, Dan Flavin fait ses premières grandes apparitions publiques à travers deux expositions dans des galeries new-yorkaises : la Kaymar Gallery et la Green Gallery. À partir de ce moment-là, il utilise exclusivement le tube fluorescent de forme ronde fabriqué de manière industrielle qui arrive sur le marché en 1938.

À partir du milieu des années 1960, l’intérêt de Flavin se porte sur les interactions entre les objets lumineux et l’architecture des salles d’exposition ; il travaille davantage en séries. Il conçoit des travaux qui influencent ou restreignent les mouvements du public. Avec les corner pieces, la frontière entre objet et espace s’efface visuellement. À l’aide d’amples constructions, lesdites barrier pieces, Flavin délimite des zones d’accès dans la salle d’exposition.

Dans les années 1960, le travail artistique de Dan Flavin est présenté au Museum of Contemporary Art de Chicago (1967), à la documenta de Kassel (1968), et à la National Gallery of Canada d’Ottawa (1969), pour ne citer que quelques-unes de ses expositions majeures.

Jusqu’à son décès en 1996, il s’est toujours attaché à réinventer son travail avec la lumière fluorescente et à en varier les effets.

Musées d’art de Bâle et Dan Flavin

En 1975, une collaboration historique entre Carlo Huber de la Kunsthalle Basel et Franz Meyer du Kunstmuseum Basel a donné naissance à une rétrospective mémorable de l’artiste Dan Flavin. Les deux directeurs, touchés par la maîtrise de Flavin dans l’utilisation de la lumière, ont organisé une exposition double qui a marqué les esprits.

untitled. In memory of Urs Graf, Dan Flavin, 1975 – Kunstmuseum Basel, Geschenk der Dia Art Foundation, New York © Stephen Flavin 2024, ProLitteris, Zurich – Photo Florian Holzherr

Carlo Huber, ému par la puissance évocatrice de l’œuvre de Flavin, a exposé « Fünf Installationen in fluoreszierendem Licht », saluant le caractère intime et imposant de celle-ci. Franz Meyer, quant à lui, a soigneusement choisi près de 277 œuvres sur papier de Flavin, y compris ses affinités artistiques avec Urs Graf, le maître suisse de la Renaissance.

L’œuvre « untitled (in memory of Urs Graf) », spécialement créée par Flavin pour la cour intérieure du Kunstmuseum Basel | Hauptbau. Depuis 1975, elle est devenue une présence indissociable de l’espace public. Ses lumières colorées insufflant une âme vibrante à la cour. Malgré cela, le chemin pour y arriver a été semé d’embûches. Jusqu’à la fin des années 1970, des débats persistants sur la pérennité de l’installation se sont poursuivis.

untitled. In memory of Urs Graf, Dan Flavin, 1975 – Detail, Kunstmuseum Basel, Geschenk der Dia Art Foundation, New York © Stephen Flavin 2024, ProLitteris, Zurich – Photo Florian Holzherr

L’incertitude a finalement été dissipée grâce à la générosité de la Dia Art Foundation, qui a fait don de l’œuvre. Cependant, la résistance à son illumination a perduré. Elle symbolise la lente adaptation aux changements dans les perceptions et les goûts artistiques.

Aujourd’hui, le Kunstmuseum Basel rend hommage à cette histoire émotionnelle avec une exposition contemporaine. Elle inclut des documents d’archives, témoignant de la révolution culturelle qu’a représentée l’acceptation de l’art de Flavin. Un vibrant rappel que l’art, dans son essence la plus pure, est souvent en avance sur son temps, attendant patiemment que le monde l’accueille dans toute sa splendeur.

Catalogue de l’exposition

Dan Flavin, dedications in light, D, Kunstmuseum Basel, Walther König, 2024

Dan Flavin, dedications in light, D, Kunstmuseum Basel, Walther König, 2024 – couverture © Buchhandlung Walther König
  • Auteur : Walther König
  • Contributeurs : Simon Baier, Elena Degen, Jules Pelta Feldman, Arthur Fink, Josef Helfenstein, Aden Kumler, Daniel Kurjakovic, Olga Osadtschy et Mechtild Widrich
  • Éditeur : Buchhandlung Walther König Allemand
  • 256 pages, 150 illustrations en couleurs
  • Broché
  • 22 x 28cm
  • Allemand
  • Sortie en mai 2024

 

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Infos pratiques

Approfondir le sujet

Photo en haut de l’article : untitled to my dear bitch, Airily 2 – 1984 – The Dan Flavin Estate, courtesy of David Zwirner – Photo Florian Holzherr © Stephen Flavin 2024, ProLitteris, Zurich

Équipe du projet

Plasticien lumière Dan Flavin
Commissaire d'exposition Josef Helfenstein Olga Osadtschy Elena Degen
Soutiens Isaac Dreyfus-Bernheim Stiftung Heivisch KPMG AG Pierrette Schlettwein Stiftung für das Kunstmuseum Base Donateurs anonymes

Lieu

  • Kunstmuseum Basel | Neubau
  • Bâle, Suisse

Livres

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Rédacteur en chef et éditeur du portail Light ZOOM Lumière depuis 2012. Architecte diplômé de l’École nationale supérieure d’architecture de Nantes. Éclairagiste par passion depuis 1997 en Europe. Auteur de sept ouvrages de référence sur la lumière, l'éclairage, la ville et le bâtiment. Enseignant en éclairage à l’ENSA Nantes et à l’ENSATT Lyon.
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