Interview

Le réemploi de matériel d’éclairage est-il circulaire ?

Le réemploi du matériel d’éclairage est-il possible ? Une nouvelle économie circulaire s’installe en Île-de-France. Explications d’Hervé Grimaud, Proclus.

 

Quel matériel d’éclairage se réemploi actuellement ?

Hervé Grimaud : Il y actuellement deux marchés :

  • Les BET et entreprises de travaux qui font du réemploi sous la pression des grands d’donneurs d’ordres, cherchent à minimiser les risques techniques et commerciaux. Ils sont donc en demande de produits très basiques et/ou peu visible, telles les dalles LED 60×60 ou les réglettes étanches pour les locaux techniques.
  • Les artisans qui sont eux plus ouverts. Ils ne nous ont pas attendus pour faire du réemploi. Mais ils achètent par petite quantité des produits plus haut de gamme pour des clients moins exigeants.

Mais au regard de la qualité des luminaires que nous récupérons et de la montée en pression du besoin de décarbonation des bâtiments, nous sommes persuadés que tous les types de luminaires auront leur chance pour une seconde, voire une troisième vie.

Nous avons par exemple actuellement des échanges avec des entreprises de travaux qui veulent des équipements reconditionnés pour la construction du village olympique de Paris 2024 et qui évoquent déjà leur reprise pour une fois les JO finis pour une réutilisation ailleurs.

Perspective aérienne 3D, village des athlètes, Lot E, Jeux de Paris 2024, Saint-Ouen-sur-Seine © Doug&Wolf, CoBe, KOZ, Atelier Georges, Lambert Lenack, SOA, Dream

Dans quel secteur d’application Proclus récupère des luminaires ?

Hervé Grimaud : Pour être franc, le tertiaire et principalement en régions parisienne où ils sont occupés par une clientèle assez exigeante en termes de qualité de service, donc des équipements, des lots techniques plutôt de qualité avec un taux de rotation assez fort avec une durée moyenne d’occupation de 4 ans. Le changement d’occupant entraine souvent le remplacement/modernisation des éclairages. Les rénovations qui sont faites au bout de 15-20 ans permettent donc de récupérer des luminaires récents en technologie LED.

Hors du continent tertiaire, nous intervenons aussi sur des établissements de santé et les sites industriels ou logistiques. Ces derniers contiennent souvent beaucoup de luminaires techniques pour éclairage en grande hauteur qui ont un fort potentiel de réemploi.

 

 

 

Notre terrain de jeu, c’est aussi le résidentiel, mais il y a rarement des installations d’une grande technicité, celle-ci sont souvent anciennes et hétérogènes. Alors même chez les bailleurs sociaux, il y a des choses à faire. C’est assez ponctuel, mais là où il y a le plus à faire, c’est dans le tertiaire.

Quels sont les exemples de chantiers de démolition en éclairage en Île-de-France ?

Hervé Grimaud : Pour l’anecdote, nous avons été impliqués dans le chantier de démolition de l’ancienne plateforme logistique de Signify à Villeneuve-Saint-Georges qui était équipée avec des luminaires Philips de grande qualité (Coreline HighBay, GentleSpace programmables …) possédant un véritable potentiel de réemploi.

Reconditionnement de luminaire Philips haute performance, stock équipements électriques en éclairage © LinkedIn, Proclus

Sur les plus de 1000 luminaires récupérés, seuls quelques-uns n’ont pas passés avec succès les tests de requalification. Ils seront mis en filière de recyclage contrôlée par les éco-organismes DEEE.

La société Gecina nous a confié le curage technique d’un ensemble de bâtiments tertiaires qui se trouvent avenue de Flandre à Paris. Nous avons récupéré près de 10 tonnes d’équipements :  onduleurs, éclairages, appareillages électriques…

Quels maîtres d’ouvrage sont convaincus par le réemploi électrique par Proclus ?

Hervé Grimaud : Des maîtres d’ouvrage très militants, très impliqués dans le réemploi et pas uniquement chez les autres, tels Gecina, Icade, Nexity ….

Il y a encore pas mal d’acteurs pour lesquels le réemploi est le cadet de leurs soucis. Pour d’autres,  cela devient un moyen de se donner bonne conscience en se débarrassant de leurs équipements vers d’autres réutilisateurs.

La phase ultime de cette approche vertueuse, c’est quand nous nous forçons à réemployer nous-même, c’est-à-dire à se remettre en cause et à remettre en cause nos process de conception et d’exploitation pour que le réemploi se fasse chez soi.

Parce que si tout le monde veut se débarrasser de ses équipements pour qu’ils soient employés chez d’autres, il n’y aura pas de boucle et tout s’arrêtera. C’est ça l’enjeu !

Deux exemples de réemploi en éclairage dans les commerces ?

Hervé Grimaud : Dans certains cas, nous enlevons les luminaires avant même qu’ils soient vétustes. Par exemple, pour le magasin Sephora du haut des Champs-Élysées, que nous avons curé en avril dernier, ou encore, le C&A du boulevard Haussmann que l’on a fait une semaine avant. Nous déposons des luminaires assez qualitatifs dont certains avaient à peine 2 ans. Que du bonheur !

Chantier de curage du magasin Sephora des Champs Elysées, Paris, réalisé par SMB Bâtiment, Paris © LinkedIn, SMB Batiment

Quelles sont les contraintes de Proclus par rapport à la revente de matériel ?

Hervé Grimaud : Les contraintes sont assez mathématiques en fait. Pour développer le réemploi il faut adresser le besoin des gros donneurs d’ordres qui veulent à la fois la qualité et la quantité pour un même modèle. Or même si vous allez chercher les luminaires dans des grands magasins par exemple il y a une perte au feu, une sorte de downsizing des quantités qui fait qu’il sera difficile de satisfaire la demande d’un autre grand magasin.

Comment juguler la quantité de produits en réemploi à revendre ?

Hervé Grimaud : Le sentiment que j’ai aujourd’hui, c’est que nous pouvons récupérer des luminaires assez qualitatifs dans un centre commercial pour les revendre en petite quantité à de plus petits magasins. Cela peut descendre comme ça, en sachant que, peut-être, le niveau d’exigence en qualité, mise en lumière, accentuation lumineuse n’est pas le même.

Une grande chaîne comme Sephora, par exemple, se situe bien au-delà de ce que peut souhaiter un commerçant de quartier qui vend des vêtements.

Difficile donc de revendre des disjoncteurs de 10 ans d’âge que l’on enlève dans des bâtiments tertiaires en région parisienne pour réemploi dans des bâtiments tertiaires neufs.

Par contre, un artisan qui tous les jours complète des tableaux électriques pour des clients plus modestes et des petits commerces ne fait qu’ajouter à côté de 20 disjoncteurs de 10 ans, 3 disjoncteurs de 10 ans de plus. C’est techniquement assez homogène et sans risque.

C’est amusant d’employer le mot downsizing pour la vente de produits ?

Hervé Grimaud : On dit chez moi que les petits ruisseaux finissent par faire de très grosses rivières. Donc, ce n’est pas idiot de récupérer sur les gros sites pour alimenter des sites plus modestes. C’est le ruissellement inversé !

Où en est l’aventure de la start-up Proclus ?

Hervé Grimaud : Dans notre aventure de start-up, nous consommons plus d’argent que l’on en gagne actuellement. Nous avons commencé par nous faire un important stock d’équipements à reconditionner récupérés sur les chantiers. Puis à les tester unitairement. Mais la mise en place les processus industriels nécessaires à un reconditionnement de qualité  prend du temps.

Nous avons un seul site pour le moment, Le Kremlin-Bicêtre. L’idée, c’est de se déployer progressivement sur le territoire national à partir du second semestre.

Blocs d’alimentation, réemploi équipements électriques, stock chez Proclus, Le Kremlin-Bicêtre, Ile-de-France © Quentin Durand – By k

Nous sommes sortis de la phase « laboratoire » pour entrer dans la phase « proof of concept », c’est-à-dire que nous nous donnons jusqu’à cet été pour démontrer que non seulement nous avons accès à un gisement qualitatif – ça, c’est déjà démontré – mais surtout que nous pouvons  revendre ce gisement après l’avoir requalifié à des prix qui permettent d’en vivre décemment.

Comment voyez-vous l’avenir de Proclus et du réemploi ?

Hervé Grimaud : Il faut que toute cette nouvelle économie circulaire se mette en place. Ça demandera quelques années, mais ça peut bouger vite. En six mois, il y a des acteurs qui ont totalement changé de posture.

Les choses évoluent vite. J’ai envie de dire que nous sommes énormément sollicités par plein d’acteurs issus de la maintenance et de chantiers neufs, des maîtres d’ouvrage, des AMO, des installateurs. Vraiment, ça bouillonne, mais nous sommes une toute jeune entreprise.

Après, il faudra démontrer la viabilité économique sur le long terme, c’est autre chose que de le dire. Ce bouillonnement doit finir par accoucher de quelque chose de structuré. Il permettra de savoir ce que le marché attend de manière industrielle de Proclus et de s’organiser pour répondre aux attentes du marché. De ce bouillonnement va ressortir quelque chose de positif, nous en sommes sûrs !

Propos recueillis par Vincent Laganier, via Microsoft Teams, le 17 avril 2023

 

 

 

À suivre…

Hervé Grimaud, du recyclage en éclairage au réemploi électrique

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Équipe du projet

Entreprise Proclus
Président Herve Grimaud
Matériel d'éclairage Signify (ex Philips Lighting)

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Rédacteur en chef et éditeur du portail Light ZOOM Lumière depuis 2012. Architecte diplômé de l’École nationale supérieure d’architecture de Nantes. Éclairagiste par passion depuis 1997 en Europe. Auteur de sept ouvrages de référence sur la lumière, l'éclairage, la ville et le bâtiment. Enseignant en éclairage à l’ENSA Nantes et à l’ENSATT Lyon.
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