Athena-Lum d’Hélène Foglar et David Loose, et la lumière
L’Observatoire de l’environnement nocturne du CNRS intègre des praticiens. Après le propos introductif avec Samuel Challéat sur le réseau, voici la suite de notre échange avec deux écologues. Hélène Foglar est ingénieur agronome et écologue de formation. David Loose est écologue et photographe. Ensemble, ils réalisent des activités spécialisées, scientifiques et techniques diverses sous la bannière d’Athena-Lum. Une référence à la déesse de la raison, de la sagesse et de la science Athena, dans la mythologie grecque, mais aussi à la Chevêche d’Athena, une petite chouette menacée par l’activité humaine. Quoi de plus naturel que cet oiseau nocturne pour être le symbole parfait de la promotion d’un éclairage nocturne économe et respectueux du ciel étoilé et des êtres vivants !
Comment intervient Athena-Lum sur les territoires ?
Hélène Foglar : Nous sommes déterminés à intervenir sur le terrain, car nous constatons que de nombreux élus et citoyens ignorent certaines problématiques. Nous nous efforçons donc de les sensibiliser en liant les résultats concrets de la recherche à la réalité du terrain. Nous organisons des interventions et des discussions, notamment la nuit sous l’éclairage public, pour expliquer ces problèmes et chercher un compromis entre le besoin d’éclairage artificiel nocturne et ses impacts sur les humains et l’environnement. Les retours des élus et des citoyens sont généralement très positifs.
Qu’est-ce que le métier d’écologue dans votre pratique ?
David Loose : Nous avons une culture scientifique que nous enrichissons grâce à nos échanges fréquents avec l’Observatoire de l’environnement nocturne et en nous tenant informés des recherches scientifiques. Nous sommes essentiellement des écologues mais nous nous adressons également à des questions sociales et pratiques liées aux territoires. Ayant moi-même été élu local, j’ai pu comprendre les défis des petites communes, majoritaires en France. Nous oublions toujours que la France, ce n’est pas seulement Paris, Lyon ou Marseille ! 85 % des communes de France ont moins de 2000 habitants, et elles sont souvent confrontées à des enjeux écologiques liés à l’éclairage. Notre spécialité est l’impact écologique de la lumière, mais nous œuvrons aussi pour résoudre des problématiques terre à terre avec les élus locaux.
Hélène Foglar : L’évolution vers des pratiques d’éclairage moins impactantes pour le vivant ne passe pas par des cartographie abstraite, mais sur des discussions concrètes avec les gens concernant les problèmes réels.
À quoi sert l’expertise technique en éclairage ?
Hélène Foglar : L’expertise technique est essentielle pour discuter avec les fabricants d’éclairage sur ces questions et rester informés des nouveaux équipements sur le marché. Elle permet de contrer les perspectives parfois biaisées des professionnels formés uniquement à la technique de l’éclairage mais souvent peu au fait des enjeux écologiques. Il est donc précieux de créer des liens avec ce secteur.
David Loose : Notre présence au sein du Cluster Lumière nous permet de nous rapprocher des entreprises, qui évoluent dans un contexte différent du nôtre. L’objectif est de mieux comprendre leurs contraintes. Comment peut-on collaborer pour trouver des solutions aux problèmes locaux ?
Qu’en est-il de l’introduction des LED ?
Samuel Challéat : La résolution du problème de la pollution lumineuse nécessite une approche interdisciplinaire intégrant les aspects sociaux, écologiques, astronomiques et techniques. L’introduction des LED, si elle a en partie réduit la consommation énergétique, a aussi généré de nouveaux problèmes comme la lumière bleue. Il est crucial de considérer les besoins en lumière et en obscurité des communautés locales, en prenant en compte les perceptions des usagers pour une gestion démocratique et adaptée à chaque territoire.
Comment répondre à des besoins si différents ?
Hélène Foglar : Les besoins incluent aussi bien les aspects fonctionnels qu’esthétiques, comme le montre le projet d’éclairage de la cathédrale de Lausanne de Jean-Yves Soetinck, l’Acte Lumière, auquel nous participons. C’est un exemple intéressant de prise en compte à la fois des besoins d’éclairage, pour faire joli, et des besoins de la faune environnante. Nous allons justement essayer de revenir à ce compromis.
Comment intégrer l’approche du concepteur lumière ?
Samuel Challéat : Les concepteurs lumière travaillent avec l’obscurité comme principal support. Pour eux, c’est une ressource indispensable, car sans elle, il n’y aurait pas de besoin de mise en lumière. Leur travail ne peut pas être valorisé dans un environnement déjà saturé de lumière. Ils explorent des similitudes dans leurs approches et cherchent à renforcer les liens avec d’autres disciplines intéressées par les questions environnementales et le dialogue interdisciplinaire. Ils souhaitent inclure des professionnels de différentes disciplines, comme des économistes ou des anthropologues, pour enrichir leurs recherches et perspectives.
Qu’en est-il du manifeste de l’ACE sur l’éclairage raisonné ?
Samuel Challéat : Les manifestes de l’ACE [N.D.L.R. mars 2016 et juillet 2023] soulignent la nécessité de réduire le volume global pour valoriser les créations, tout en renforçant les liens avec les concepteurs lumière intéressés par les questions environnementales et le dialogue interdisciplinaire. Actuellement, bien que diverses disciplines soient représentées, il manque à l’Observatoire des perspectives telles que celles de l’anthropologue, de l’économiste et du concepteur lumière. L’objectif est donc de renforcer la collaboration avec les concepteurs lumière pour explorer davantage de territoires de recherche, avec l’aide de professionnels comme David et Hélène qui facilitent cette intégration.
Hélène Foglar : Le métier des concepteurs lumière a considérablement évolué au cours des vingt dernières années. Initialement, les échanges étaient tendus, notamment lors de l’installation du nouvel éclairage du tram à Grenoble par Concepto en 2006. Toutefois, les relations et les pratiques ont progressé, bien qu’il reste des améliorations à réaliser. Des projets comme celui de la cathédrale de Lausanne témoignent de cette évolution positive. Dans l’Yonne, nous avons collaboré avec Jean-Yves Soëtinck. Il a une ouverture d’esprit remarquable et reconnaît que ses projets actuels diffèrent grandement de ceux de ses débuts.
Quid des questions environnementales pour un éclairagiste ?
David Loose : Les questions environnementales sont devenues à la mode, même si la profession n’a pas encore totalement intégré cela comme une obligation. Il reste un grand travail d’acculturation à faire. Au fur et à mesure, nous transmettons les messages et travaillons avec divers acteurs, y compris des bureaux d’études, souvent de manière indirecte. Un changement de paradigme est nécessaire pour intégrer de nouvelles données écologiques et sociales, et pour que la technique soit en cohérence avec ces aspects. Il est essentiel de concevoir l’éclairage de mise en valeur de manière différente. Nous avons besoin de concepteurs lumière. En revanche, il va falloir le faire différemment et intégrer de nouvelles données écologiques et sociales, ainsi que l’interaction entre les deux pour avoir une traduction technique cohérente.
Entre sciences et praticiens, quel est le défi de la temporalité des projets ?
Samuel Challéat : Les temporalités de la recherche diffèrent de celles des projets auxquels les concepteurs lumière répondent lors d’appels d’offres. Il est crucial de trouver des acteurs prêts à s’engager dans le débat au sein de l’Observatoire de l’environnement nocturne et à accepter les critiques, une composante essentielle du milieu scientifique. Ce débat implique souvent une participation hors du temps de travail rémunéré, ce qui représente un défi notable. Les projets de recherche nécessitent typiquement des engagements de longue durée, ce qui complique la réponse aux appels d’offres à court terme pour les praticiens.
Depuis combien de temps un changement de paradigme se produit-il ?
David Loose : Depuis deux ans, notre téléphone sonne avec des demandes de conseils et de collaborations dans les domaines de la conception lumière et des syndicats d’éclairage. Les gens veulent plus qu’une simple solution superficielle. Ils cherchent une véritable réflexion et expertise pour aborder ces sujets de manière substantielle. Nous sommes à un moment clé où l’intérêt grandit lentement, mais sûrement.
Quid de la trame noire comme faire-valoir ?
Hélène Foglar : Le concepteur lumière et les professionnels de l’éclairage doivent faire attention à l’écueil de se contenter de créer des zones d’obscurité sans considérer l’impact global de l’éclairage en se disant : « Bon, on fait des trames noires et on est tranquilles sur le reste de la commune. »
Il est essentiel d’adopter une approche écologique en reconnaissant que la lumière ne se limite pas à l’endroit où elle est projetée. Elle affecte l’environnement et les espèces dans un rayon plus large. Une vision simpliste pourrait nuire à la compréhension des interactions entre la lumière et la biosphère.
Samuel Challéat : Hélène et David utilisent leurs observations de terrain pour alimenter les questionnements et discussions au sein de l’Observatoire de l’environnement nocturne. Lors des réunions, ils partagent leurs observations, leurs idées et leurs analyses avec celles d’autres spécialistes comme Kévin Barré et Laurent Godet, afin de construire des connaissances scientifiquement validées. L’Observatoire rempli ici son rôle d’arène de discussions favorisant le rapprochement des expertises scientifique, technique et d’usage.
Propos recueillis par Vincent Laganier en visioconférence le 20 juin 2024.
A suivre…
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