Interview

De Renoir à l’Observatoire de l’environnement nocturne

Comment le géographe Samuel Challéat a-t-il fondé l’Observatoire de l’environnement nocturne au sein du CNRS ? Retour sur le Collectif Renoir.
30 juillet 2024

La pollution lumineuse dégrade notre accès visuel au ciel étoilé. De plus, elle a des nombreux effets négatifs sur l’environnement et la santé, aujourd’hui bien documentés. En France, des millions de lumières s’allument chaque nuit, contribuant à ce problème. Auteur du livre rétrospectif intitulé Sauver la nuit aux éditions Premier Parallèle, Samuel Challéat explore le Dark-sky movement. Il promeut un « droit à l’obscurité ». Avec le collectif Renoir, depuis plus de 10 ans, il mène des actions pour préserver l’obscurité, valoriser l’environnement nocturne et lutter contre la pollution lumineuse. En résumé, préserver notre connexion aux mondes nocturnes. Comment a-t-il fondé l’Observatoire de l’environnement nocturne en 2021 ? Rencontre avec l’homme fondateur de ce réseau transdisciplinaire de chercheurs et praticiens sur cette thématique.

 

 

Comment le Collectif Renoir est-il né ?

Samuel Challéat : Renoir était, à l’origine, l’acronyme de Ressources environnementales  nocturnes, tourisme et territoires. Nous avons ensuite épuré cet acronyme qui est devenu Ressources environnementales nocturnes et territoires. Fondé en 2013 à Toulouse, année d’obtention du label Réserve internationale de ciel étoilé au pic du Midi de Bigorre dans les Pyrénées, ce collectif s’est concentré, durant ses premières années de vie, sur l’analyse des processus de valorisation du ciel étoilé.

Pyrénées ariègeoises – Parc naturel régional PNR, pollution lumineuse, paysage, éclairage public, échelle © Samuel Challéat Observatoire environnement nocturne CNRS Géode

La collaboration a commencé lorsque, jeune docteur en géographie et aménagement de l’espace, j’ai rencontré à Toulouse Rémi Bénos et Johan Milian, l’un spécialiste des questions de patrimonialisation de la nature, l’autre spécialiste des politiques de conservation et de construction d’espaces protégés. Ensemble, aidés par d’autres collègues comme Dany Lapostolle en science politique, Thomas Poméon en économie territoriale) ou encore Pierre-Olivier Dupuy en science de la communication, nous avons exploré les nouvelles méthodes de mise en valeur de la nuit et du ciel étoilé à travers les labels et les réserves.

 

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Quelle était la mission du collectif Renoir ?

Samuel Challéat : De 2013 à 2017, sous la bannière « Renoir, » notre travail a principalement porté sur le développement de nouvelles filières touristiques autour du ciel étoilé, des activités récréatives nocturnes, et sur la spécification de la « ressource obscurité. » Nous cherchions à comprendre comment, à partir de ces ressources en apparence génériques que sont le ciel étoilé et l’obscurité, les territoires parvenaient néanmoins à se différencier. Par exemple, pour obtenir des labels de qualité, déployer de nouvelles formes de marketing territorial et faire de ces biens environnementaux des biens communs.

La Réunion, Parc national, pollution lumineuse, paysage nocturne, étoiles, ciel, observatoire, Maid © Samuel Challéat, Observatoire environnement nocturne CNRS Géode

Que s’est-il passé sur le programme Chirolum ?

Samuel Challéat : En 2018, à la faveur d’un programme de recherche interdisciplinaire sur la question des ruptures des continuités écologiques par la lumière artificielle, nous avons collaboré avec plusieurs collègues du laboratoire Cesco du Muséum national d’histoire naturelle, basés à Concarneau, et plus particulièrement avec Isabelle Le Viol, Christian Kerbiriou et Kévin Barré, tous trois écologues. Ce programme, nommé Chirolum, nous a permis de nous connecter aux collègues travaillant, en France, à mieux comprendre les répercussions écologiques et environnementales  de la lumière artificielle. Kévin Barré était alors post-doctorant au sein de ce programme de recherche et, à la fin du programme, nous avons poursuivi nos collaborations sur d’autres terrains et d’autres questions.

La Réunion, Parc national, pollution lumineuse, chauves-souris, les chiroptères © Samuel Challéat Observatoire environnement nocturne CNRS Géode

Comment en êtes-vous arrivés à travailler sur la trame noire ?

Samuel Challéat : En 2020, grâce à ce collectif qui incluait désormais des collègues praticiens comme Hélène Foglar, David Loose d’Athena-Lum ou encore Charles Ronzani, paysagiste, nous avons collaboré à un projet de l’Ipamac visant à accompagner les parcs naturels du Massif central, y compris le Parc national des Cévennes, dans leur appropriation de la trame noire.

Haut Languedoc, Parc naturel régional PNR, Massif central, éclairage public au sodium haute pression © Samuel Challéat, Observatoire environnement nocturne CNRS Géode

La trame noire n’était alors pas aussi formalisée qu’elle l’est aujourd’hui. Elle était un horizon d’action, un cadre de travail très large et polysémique qui permettait aux acteurs territoriaux de véhiculer dans le débat public local la question de l’équilibrage entre besoins de lumière artificielle et besoins d’obscurité. Cette mise en adéquation d’un objectif générique et général avec la spécificité des enjeux locaux est ce qu’on appelle la territorialisation de l’action publique, et c’est sur cette question de la territorialisation de la trame noire que nous avons pu accompagner les parcs naturels du Massif central. Par exemple, les réponses de l’aménagement du territoire à la pression lumineuse ne peuvent être les mêmes au sein du Parc naturel régional de l’Aubrac, très rural, et au sein du Parc naturel régional du Pilat qui est un Parc que l’on pourrait quasiment qualifier de périurbain.

Pilat Parc naturel régional PNR, pollution lumineuse, village © Samuel Challéat, Observatoire environnement nocturne CNRS Géode

Quand l’Observatoire de l’environnement nocturne est-il né ?

Samuel Challéat : Depuis 2017, je postulais au concours de Chargé de recherche CNRS sur la base d’un programme de recherche visant à construire cet Observatoire de l’environnement nocturne. Après quatre candidatures infructueuses, j’ai été recruté à ma cinquième tentative, en 2021, et je m’attache depuis à mettre en œuvre ce programme et donc à structurer l’Observatoire de l’environnement nocturne du CNRS. Nous étions 8 au sein du Collectif Renoir en 2020, nous sommes désormais 23 au sein de l’Observatoire de l’environnement nocturne, preuve de l’effectivité de ce travail de structuration d’un réseau à part entière au sein du CNRS.

 

 

Quel est l’objectif de l’Observatoire de l’environnement nocturne ?

Samuel Challéat : L’objectif de cet Observatoire de l’environnement nocturne est double :

  1. produire, par la recherche fondamentale disciplinaire et interdisciplinaire, des connaissances scientifiques sur l’environnement nocturne,
  2. mettre ces connaissances scientifiques à disposition des acteurs territoriaux, voire même construire avec eux ces connaissances. Par exemple en développant des démarches de recherche-action interdisciplinaire et participative ou, dit autrement, des démarches transdisciplinaires.

On retrouve là, finalement, la ligne générale qui guide le CNRS dans la conduite de ses missions de recherche publique : mettre en œuvre une recherche fondamentale qui soit, autant que faire se peut, au service de la société.

La notion d’observatoire implique, par ailleurs, de maintenir des collaborations dans le temps long ; c’est ce temps long qui est précieux et même indispensable pour organiser et opérer une interdisciplinarité forte et radicale autour de notre objet-focal : l’environnement nocturne.

Livradois Forez, Parc naturel régional PNR, Massif central, Thiers, extinction © Samuel Challéat Observatoire environnement nocturne CNRS Géode

Cet objet nous permet également de ne pas nous cantonner à la question de la lumière artificielle : d’autres paramètres comme les sons d’origines anthropiques interfèrent avec ce qu’on peut nommer, par commodité de langage, « la qualité environnementale nocturne » des territoires.

Comment fonctionne ce dispositif de recherche ?

Samuel Challéat : L’Observatoire de l’environnement nocturne n’a pas – du moins pas encore, car nous y travaillons – d’existence institutionnelle propre au sein du CNRS. Il y est pour l’instant reconnu par les programmes de recherche, les publications et les communications que nous affichons comme étant le résultat de collaborations entre membres du réseau. Mais chaque membre de l’Observatoire de l’environnement nocturne garde bien sûr son affiliation classique, académique ou non :

  • son employeur (universités pour les collègues enseignants-chercheurs, établissements de recherche comme le CNRS ou INRAE pour les collègues chercheurs),
  • son laboratoire, sa micro-entreprise.

L’Observatoire de l’environnement nocturne est donc avant tout et à l’heure actuelle un réseau thématique à vocation interdisciplinaire. Les années à venir nous diront s’il est nécessaire et opportun de faire évoluer ce dispositif-réseau en une structure plus formelle, comme un laboratoire par exemple.

Équipement pollution lumineuse paysage nocturne, Rite in the Rain, Nikon Monarch HG scaled © Samuel Challéat Observatoire environnement nocturne CNRS Géode

Comment la pollution lumineuse est-elle abordée ?

Samuel Challéat : Jusqu’à la fin des années 2010, le problème de la pollution lumineuse était abordé en tuyaux d’orgue, en silos disciplinaires.

Je vais être volontairement caricatural et un peu piquant pour illustrer mon propos.

  • L’astronome arguait d’effets culturels et scientifiques pour dénoncer la perte de visibilité du ciel étoilé mais espérait surtout, par ce combat, préserver son ciel étoilé.
  • Le physicien s’affairait à modéliser la pression lumineuse pour en tirer les cartographies les plus précises possible mais en laissant de côté la variable « couverture nuageuse », décidément bien trop compliquée à intégrer.
  • L’écologue, qui redécouvrait à chaque publication le sens du mot « artificiel », montrait de façon toujours plus précise les effets de la pression lumineuse sur telle ou telle espèce, tel ou tel milieu.
  • « Les décideurs » enjoignait d’urgemment prendre en considération ce nouveau problème environnemental. Mais ces « décideurs », souvent pris dans l’idéal techno-progressiste, n’avaient que peu de billes en main pour construire un compromis d’aménagement permettant de concilier ces enjeux émergents avec ceux, très anciens et bien ancrés dans les pratiques d’éclairage, de sécurisation des personnes, des biens et des mobilités, de salubrité des espaces ou encore d’esthétique architecturale et urbaine.

 

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Qu’apporte l’Observatoire pour les décideurs ?

Pour améliorer le transfert des enjeux émergents en direction des pratiques d’éclairage et d’aménagement, il fallait donc décloisonner les connaissances pour construire une approche holistique du « problème lumière artificielle ». C’est en ce sens que l’on convoque l’interdisciplinarité au sein de l’Observatoire de l’environnement nocturne, et c’est aussi pour cela qu’il ne s’appelle pas « Observatoire de la pollution lumineuse » : l’objet environnement nocturne nous permet de construire cette démarche interdisciplinaire qui permet de saisir, d’une part, les besoins de lumière artificielle nécessaires à la continuité des usages humains de l’espace et, d’autre part, les besoins d’obscurité nécessaires au fonctionnement du vivant et à l’hygiène sanitaire des populations humaines.

Pilat, Parc naturel régional PNR, pollution lumineuse, paysage, eclairage, usine © Samuel Challéat Observatoire environnement nocturne CNRS Géode

La saisie de l’environnement nocturne en tant qu’objet de recherche relationnel est pour nous une façon de répondre à cet impératif d’interdisciplinarité : cet objet nous oblige à nous positionner à l’interface entre sciences de la société, sciences du territoire, sciences de la métrologie et de la modélisation et sciences du vivant et de la conservation.

Quels sont les quatre pôles de recherche ?

Samuel Challéat : L’Observatoire de l’environnement nocturne est structuré autour de quatre pôles principaux.

  • Le premier concerne les sciences humaines et sociales, ainsi que les sciences du territoire – finalement les deux composantes historiques du Collectif Renoir, qui incluent la géographie environnementale, la géographie urbaine et l’aménagement de l’espace.
Livradois Forez, Parc naturel régional PNR, pollution lumineuse, paysage, aire autoroute © Samuel Challéat Observatoire environnement nocturne CNRS Géode
  • Le deuxième pôle se focalise sur les sciences de l’environnement, impliquant des collègues écologues, biogéographes, des géographes de l’environnement ou encore des collègues spécialisés dans la bio-acoustique.
Monts Ardèche, Parc naturel régional PNR, pollution lumineuse cours eau rivière © Samuel Challéat Observatoire environnement nocturne CNRS Géode
  • Le troisième pôle est dédié à la mesure et à la modélisation de la pression lumineuse, avec notamment des collègues spécialistes en instrumentation et mesure physique de l’environnement, en intelligence artificielle, et bien sûr en astronomie et physique de l’atmosphère.
Périgord Limousin, Parc naturel régional, Massif central, pollution lumineuse, éclairage des quais de la gare en LED © Samuel Challéat Observatoire environnement nocturne CNRS Géode
  • Le quatrième pôle, enfin, regroupe les praticiens, avec entre autres Hélène Foglar, David Loose et Charles Ronzani. Il vise à relier la recherche fondamentale au transfert pratique vers les territoires. Ils sont en collaboration étroite avec les élus locaux, les services techniques et les syndicats d’énergies pour répondre aux enjeux territoriaux grâce à des recherches interdisciplinaires. Bien qu’ils ne soient pas chercheurs au sens académique du terme, ils répondent largement l’esprit de l’Observatoire de l’environnement nocturne qui est de soutenir que la production de questions et de connaissances scientifiques n’est pas l’apanage des chercheurs.
Haut Languedoc, Parc naturel régional PNR pollution lumineuse, paysage LED, toile d’araignée © Samuel Challéat Observatoire environnement nocturne CNRS Géode

Propos recueillis par Vincent Laganier en visioconférence le 20 juin 2024.

 

 

A suivre…

Athena-Lum d’Hélène Foglar et David Loose, et la lumière

Approfondir le sujet

Photo en tête de l’article : Samuel Challéat – portrait © Johann Michalczak, Observatoire de l’environnement nocturne, CNRS

Équipe du projet

Collectif de recherche Collectif Renoir
Laboratoire de recherche Observatoire de l’environnement nocturne
Chercheur Samuel Challéat CNRS

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Fondateur de l'agence de relations publiques LZL Services depuis 2023. Son thème : la lumière et l’éclairage. Rédacteur en chef et éditeur du portail français n°1 Light ZOOM Lumière depuis 2012. Architecte diplômé de l’École nationale supérieure d’architecture de Nantes. Éclairagiste urbain de 1997 à 2013 en Europe. Auteur de huit ouvrages de référence sur la ville, le bâtiment et le millénaire. Enseignant sur l'histoire de la conception lumière à l’ENSA Nantes et à l'éclairage dans l'art contemporain à l’ENSATT Lyon.
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