Interview

Métier de l’éclairage architectural et de la conception lumière en pratique

Impacts de l’arrêté "nuisances lumineuses" sur la pratique de l’éclairage architectural. Évolution des effets lumière et techniques.
1 octobre 2021

Comment intègres-tu les nuisances lumineuses dans tes projets ?

Jean-Yves Soëtinck : dans nos projets, on travaille la qualité de l’éclairage de manière à limiter les nuisances lumineuses. Il y a bien longtemps que j’en suis conscient. En tant que concepteur lumière, ces notions sont au cœur de nos préoccupations. Depuis quelques années, il y a une volonté d’être beaucoup plus dans une démarche de modération des effets.

Comment la pratique de la conception lumière a-t-elle évolué ?

Jean-Yves Soëtinck : les années fastes, où l’on éclairait les bâtiments et les espaces publics « à tout va », sont révolues. Avant, on créait plein de petits effets en encastrant des constellations d’appareils dans le sol et en éclairant des frondaisons de centaines d’arbres.

Place des Cordeliers, Annonay, France – Concepteur lumière et photo © L’Acte Lumière

Aujourd’hui, il y a une volonté d’imprimer une démarche plus respectueuse de l’environnement par rapport à l’éclairage urbain, et à retrouver la nuit.

Je sens que le métier est encore en train de basculer et que les attentes et les convictions sont différentes. Les paillettes des années 2000, c’est terminé. Maintenant, on rentre dans une plus grande acuité à l’environnement. Il faut que notre pratique professionnelle continue d’évoluer.

En changeant sa pratique lumière ne risque-t-on pas de moins impressionner les gens ?

Jean-Yves Soëtinck : bien sûr, on ne peut pas passer au-dessus de la mise en lumière de la cathédrale de Strasbourg. Elle reste l’élément majeur de mes 20 ans de l’Acte Lumière inauguré le 29 octobre 2016. Aujourd’hui, avec l’arrêté « nuisances lumineuses », on a toujours, en éclairage architectural, la possibilité d’éclairer du bas vers le haut un monument, et heureusement. Si nous n’avions pas cette possibilité-là, j’aurais alors sûrement refait la cour carrée du Louvre sur la cathédrale de Strasbourg. On n’aurait pas eu du tout le même effet…

Cathédrale Notre-Dame de Strasbourg, France - Conception lumière : L'Acte Lumière © Xavier Boymond, Novembre 2016
Cathédrale Notre-Dame de Strasbourg, France – Conception lumière : L’Acte Lumière © Xavier Boymond, Novembre 2016

Que penses-tu de l’arrêté « nuisances lumineuses » de décembre 2018 ?

Jean-Yves Soëtinck : l’arrêté « nuisances lumineuses » était une très bonne chose. Il a des notions comme la densité surfacique qui furent un petit peu difficile à intégrer. Elles sortent du cadre classique de ce que l’on a toujours fait et appris en éclairage. Mais ce sont des points importants qui permettent de mieux cadrer les projets. Je suis favorable à ce qui a été publié dans ce texte. J’espère qu’on nous préservera de limiter l’éclairage zénithal pour éclairer les bâtiments. En fait, je ne pense pas que les concepteurs lumière soient contraints et brimés par l’arrêté ; au sens de ceux s’étant engagés dans la signature du manifeste de l’ACE. C’est en revanche un bon garde-fou pour les projets gérés sans concepteurs lumière, par des bureaux d’études de fabricants, par exemple.

 

Comment décris-tu la mise en lumière de la cathédrale de Strasbourg ?

Jean-Yves Soëtinck : sur le projet de la cathédrale de Strasbourg, tous les faisceaux sont ultra-ciblés, ultra-concertés et très composés sur le bâtiment. Nous avons une puissance installée bien moindre que l’installation précédente qui passe de 24 kW à 12 kW. Et surtout, on n’a pas d’effet de halo lumineux autour du bâtiment, car on a remplacé 20 projecteurs qui arrosaient mal la façade par 600 points lumineux ponctuels et rasants répartis sur tout l’édifice.

Portail Saint-Laurent, Cathédrale Notre-Dame de Strasbourg, France – Conception lumière et photo © L’Acte Lumière

Quelle a été la réaction de l’Association de protection du ciel nocturne ?

Jean-Yves Soëtinck : évidemment, certaines associations se sont facilement insurgées au moment du projet de la cathédrale : « quoi ? 600 points lumineux ? ». Il a fallu faire beaucoup de pédagogie. Quand le délégué d’une association de protection du ciel nocturne est venu voir sur place la réalisation, il a confié à la maîtrise d’ouvrage : « on voit que le monument n’est pas suréclairé, et l’on ressent la nuit. Bravo, c’est très bien ! ». Ces retours sont très importants dans notre pratique professionnelle !

Cathédrale Notre-Dame de Strasbourg, France - Conception lumière : L'Acte Lumière © Xavier Boymond, Novembre 2016
Cathédrale Notre-Dame de Strasbourg, France – Conception lumière : L’Acte Lumière © Xavier Boymond, Novembre 2016

Que penses-tu de la lumière anti-zénithale en éclairage architectural ?

Jean-Yves Soëtinck : il faut nous laisser la possibilité d’avoir de la lumière anti-zénithale, mais il faut s’assurer de bien la cadrer. Ce qui m’ennuie un peu, ce ne sont pas les professionnels de la conception lumière qui sont le plus impliqués là-dedans. C’est justement tous les autres, ceux qui continuent à mettre un encastré de sol de 50 W LED pour éclairer un arbuste. Un éclairagiste ne va plus faire ça !

 

Comment évolue l’usage des techniques d’éclairage architectural ?

Jean-Yves Soëtinck : il faut vraiment qu’on soit plus mesuré dans les réalisations de mise en lumière. Il faut que l’on invente de nouvelles choses, à travers une lumière plus graphique, par exemple, le travail des gobos ou d’autres dispositifs comme la vidéo commence à arriver dans les projets. Si on ne considère pas simplement le bâtiment comme un écran, ils peuvent apporter un plus conceptuel justement.

Place des Cordeliers, Annonay, France – Concepteur lumière et photo © L’Acte Lumière

Comment intégrer la maintenance dans le projet lumière ?

Jean-Yves Soëtinck : à un moment, il faut avoir une vraie interaction avec les souhaits et les attentes d’un maître d’ouvrage, notre client. Au début, quand tu fais un projet lumière, tu as envie de défendre « bec et ongles » la moindre notion de concept. Avec l’expérience, tu te rends compte qu’en termes de maintenance ou des autres aspects techniques, si c’est mal conçu, c’est beau le jour de l’allumage, mais plus ensuite. On peut faire le meilleur projet du monde, mais si tu n’as pas prêté suffisamment d’attention aux problématiques de maintenance, derrière, ce n’est tout simplement pas entretenu. Alors, il vaut mieux « moyenner » certaines ambitions pour anticiper ces problèmes. Il faut qu’on épure notre concept pour que, tout ce qui passe après la réception de chantier, et bien que, ça survive dans sa logique et dans sa durée.

Voûtes du Port de plaisance, Royan, France – Architecte : Lanoire et Courrian -Concepteur lumière et photo © L’Acte Lumière

Que conseillerais-tu à un jeune qui voudrait faire ton métier ?

Jean-Yves Soëtinck : je ferais référence au journaliste et écrivain Ira Glass. En résumé, il dit : si tu veux faire un métier créatif, c’est que tu as une sensibilité. Mais quand tu commences à travailler, ça ne va jamais aller. Tu ne vas jamais être satisfait de ton travail. En fait, c’est souvent à ce moment-là que beaucoup abandonnent. Ira Glass dit : « Non, c’est là qu’il faut se mettre une date buttoir. Et puis, faire, sans se poser de question. Parce que, c’est comme ça que tu vas apprendre et créer des expériences. Et avec le temps, le travail finira par correspondre vraiment à ce que tu attends. Si au début tu es capable de juger que ton travail est mauvais et/ou qu’il est perfectible, c’est justement parce que tu as ce petit quelque chose qui fait que tu sens que ça ne va pas. Ça ne vient pas du jour au lendemain, ça s’apprend ». Et après 25 ans de pratique, j’essaie de toujours repenser à cette maxime durant mes journées de doute.

Comment apprendre le métier de concepteur lumière urbain ?

Jean-Yves Soëtinck : sous forme d’une boutade, je dirais aussi : « Le café est ton ami. Plus tard, tu apprendras qu’il est ton ennemi. » Plus sérieusement, il y a la pratique, dehors, « au cul du projecteur ». Pour moi, c’est la partie la plus passionnante du métier, car elle génère de vraies rencontres humaines ! Mais, c’est en mixant les pratiques, en passant par différentes formations auprès de concepteurs lumière de sensibilités différentes, voire de maîtrises d’ouvrage, que l’on apprend à être un concepteur lumière.

Propos recueillis par Vincent Laganier par téléphone le 8 janvier 2021.

 

 

 

À suivre…

Jean-Yves Soëtinck : fondateur de l’Acte Lumière

Approfondir le sujet

Photo en tête de l’article : place de la Libération, Annemasse, France – Concepteur lumière et photo © L’Acte Lumière

Équipe du projet

Concepteur lumière Jean-Yves Soetinck L'Acte Lumière
Ecrivain Ira Glass

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Rédacteur en chef et éditeur du portail Light ZOOM Lumière depuis 2012. Architecte diplômé de l’École nationale supérieure d’architecture de Nantes. Éclairagiste par passion depuis 1997 en Europe. Auteur de sept ouvrages de référence sur la lumière, l'éclairage, la ville et le bâtiment. Enseignant en éclairage à l’ENSA Nantes et à l’ENSATT Lyon.
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