Musée Dobrée, des plafonds lumineux réinventés
Le département de Loire-Atlantique peut se féliciter. Une fois de plus, il a poussé les portes de l’innovation culturelle avec la rénovation du musée Dobrée, à Nantes. Avec l’Atelier Novembre, architecte, l’équipe de maîtrise d’œuvre regroupe, entre autres, l’architecte-scénographe Adeline Rispal et Tiphaine Treins, du studio de conception lumière Temeloy. Aujourd’hui, le lieu conduit à une immersion unique au sein d’un « musée-maison » refondé. Il valorise l’interaction personnalisée entre les œuvres et les visiteurs. Avec passion et précision, Adeline Rispal et Tiphaine Treins réinventent l’expérience muséale jusqu’aux plafonds qui deviennent lumineux. Échanges sur la scénographie et l’éclairage de cette réalisation exemplaire.
Musée Dobrée, place Jean V à Nantes
- Musée Dobrée, scénographie d’une maison de collectionneur
- Disposition des œuvres et éclairage intérieur
- Éclairage des plafonds selon le dessin des moulures
- Projet hors norme et gestion des plannings
- Éclairage des œuvres avec peu de projecteurs LED
- Lumière sur le cœur doré d’Anne de Bretagne
- Voûtes lumineuses du sous-sol en éclairage indirect
- Espace extérieur du musée Dobrée
- De la médiation pour le futur des musées
- Approfondir le sujet
- Commentaires



Musée Dobrée, scénographie d’une maison de collectionneur
Engagée dans le projet depuis ses prémices en 2016, Adeline Rispal a transformé ce lieu historique en une maison de collectionneur. Chaque objet et chaque espace racontent un récit. Pour la scénographe, cette métamorphose s’articule autour de trois axes principaux :
- l’autonomie du parcours du visiteur,
- la disposition stratégique des tableaux comme des vitrines,
- la conservation de l’intégrité historique des bâtiments.
Le concept de la « maison de collectionneur » se concrétise par un agencement qui incite à la curiosité et à l’exploration personnelle. En bref, un chez-soi pour les passionnés d’art et d’histoire. L’interaction délibérée entre l’architecture des lieux et les pièces exposées invite les visiteurs à un voyage à travers le temps. Chaque salle d’exposition réservant ses propres secrets et merveilles.

Contrairement aux itinéraires classiques, le musée Dobrée propose des visites à la carte grâce à une disposition judicieuse des escaliers et ascenseurs. Sans pour autant imposer un chemin prédéfini, ceux-ci permettent un accès facile aux différents niveaux. Chaque étage peut fonctionner comme un espace indépendant. Cet aménagement permet aux visiteurs de construire leur propre expérience muséographique selon leurs centres d’intérêt.

Disposition des œuvres et éclairage intérieur
Du médiéval au contemporain, le musée Dobrée est composé de bâtiments d’époques différentes. De fait, il offre une toile de fond idéale pour expérimenter cette nouvelle approche de l’expérience muséale. Adeline Rispal souligne « l’importance de la répartition des œuvres qui se fait de manière à éveiller l’intérêt à chaque étage du bâtiment. Elle favorise ainsi une immersion progressive et naturelle à travers les époques et les collections ».

La scénographe a porté une attention particulière aux tables et vitrines dans la disposition des œuvres. Elles sont réparties méthodiquement sur les étages du musée. Cette organisation spatiale vise non seulement à optimiser la visibilité, mais aussi l’éclairage des pièces exposées. Elle encourage une interaction plus personnelle entre le visiteur et les objets. « Les collections ne sont pas simplement exposées ; elles sont mises en scène pour raconter une histoire, résume Adeline Rispal, par exemple selon leur époque, leur acquisition et leur signification. Le tout dans le respect du grand récit de l’humanité. »

Selon Tiphaine Treins, « éclairer, c’est savoir faire voir. Pour ce faire, il faut que l’aspect technique de la lumière et les appareils soient invisibles, ou qu’ils se fondent harmonieusement dans l’espace ». Par exemple pour la salle des colonnes à l’entrée de la maison Dobrée, les dispositifs d’éclairage sont dissimulés pour mettre en lumière les voûtes.

Éclairage des plafonds selon le dessin des moulures
Dans certaines salles du musée, des motifs en relief animent les plafonds. Ils forment un réseau de lignes créant des figures géométriques et dynamiques. Lors du concours organisé par le département de Loire-Atlantique, la conceptrice lumière a adopté une approche innovante en matière d’éclairage artificiel des espaces muséographiques. « Ce système de rail suivant les moulures des plafonds, c’était une évidence ! C’était mettre la lumière au service de l’espace et de son architecture », se souvient Tiphaine Treins.

Le projet d’éclairage des plafonds a impliqué diverses étapes dans la reproduction structurale des modénatures originales. Tout d’abord, pour chaque pièce, un scan 3D a été réalisé. Une fois les fichiers 3D traités, l’ensemble des rails a été modélisé en trois dimensions afin qu’ils suivent les motifs au millimètre. Pour ce projet hors du commun, chaque luminaire est différent. Ils requièrent de nombreuses heures de soudure, de ponçage et d’assemblage.

De nombreux fournisseurs d’éclairage ont été consultés. Le premier sélectionné a disparu entre les différents appels d’offres. Des coûts élevés étaient proposés par des fabricants hollandais. La décision a été prise de travailler avec le fabricant italien Formatlighting, car il a son propre site de production de 750 m² en Chine. D’après la conceptrice lumière, « il a fallu la vision de Michael Monsonego, son président-directeur général, pour y arriver ».



Projet hors norme et gestion des plannings
Pour la mise en œuvre du projet d’éclairage, le travail a débuté avec l’engagement d’une équipe motivée. Mais chaque étape fut complexe et compliquée, sans compter les demandes de budgets supplémentaires. « À cette prise de risque maximale s’est ajoutée la danse délicate entre l’entreprise courant fort Eiffage, l’équipe italienne de Formalighting et leurs ingénieurs chinois », se rappelle Tiphaine Treins. Chacune se renvoyant la balle au niveau des coûts d’ingénierie et d’installation, les délais de livraison par bateau, la douane italienne… Malgré ces obstacles, la conceptrice lumière a dû négocier et maintenir les coûts pour faire respecter les spécifications dans le budget du projet.

Finalement, après des problèmes de fabrication, la production des rails a pu débuter en Chine en août 2023. Mais de multiples retards dans les livraisons par bateau depuis l’Asie ont entraîné des conséquences importantes sur la finalisation du chantier.

« À plusieurs moments, le projet aurait pu ne pas se faire, et pourtant les rails sont arrivés une semaine avant l’ouverture du musée », se souvient Tiphaine Treins. [N.D.R.L. Inauguration le 18 mai 2024.]
Tiphaine Treins : « Ils furent installés par Eiffage en moins de quatre jours dans des salles déjà remplies d’œuvre, au grand dam de l’équipe du musée. Au vu de la taille des rails, ce travail délicat fut mené avec une grande maîtrise par le conducteur de travaux d’Eiffage Energie, Jean-Pierre Avon. »

Toutes ces difficultés mettent en lumière les défis constants auxquels sont confrontés les professionnels de la conception lumière. Dans les grands projets, quand la production est faite hors Europe, le budget, la logistique et la gestion du temps sont bien plus difficiles à faire respecter aux entreprises. Mais rien n’est impossible, comme le prouve cette réalisation remarquable à Nantes.

Éclairage des œuvres avec peu de projecteurs LED
L’utilisation parcimonieuse de projecteurs Erco sur rails offre une ambiance douce pour les visiteurs, tout en mettant l’accent sur les pièces majeures. Elle aide ainsi à créer une expérience visuelle immersive. La conceptrice explique que « le nombre réduit de projecteurs était une décision prise en conscience, car il fallait avant tout respecter les finances allouées tout en atteignant les objectifs esthétiques souhaités ».

Ainsi, selon sa forme et ses couleurs, chaque œuvre a besoin d’un faisceau, d’un angle et d’une intensité lumineuse différents. D’où des temps de réglage plus longs, la nécessité d’avoir des équipes compétentes et une bonne dose de sensibilité. « Ce fut le cas au musée Dobrée. Avec l’équipe technique dirigée par Claude Renaud, on avait une possibilité unique de faire quelque chose d’exceptionnel en révélant la beauté des œuvres », résume Tiphaine Treins. En évitant l’éblouissement et en garantissant une vision optimale, il a fallu deux semaines et une équipe de six personnes pour faire l’ensemble des réglages lumière. La coordination avec l’équipe des conservateurs du musée a été essentielle pour adapter l’éclairage aux spécificités de chaque espace.

Lumière sur le cœur doré d’Anne de Bretagne
Une des œuvres iconiques du musée, c’est le cœur d’Anne de Bretagne. Un très beau travail en lumière douce et contrastée a été réalisé pour son écrin. Le cœur étant suspendu dans le vide, le contraste est créé par une superposition de couleurs de lumière qui se chevauchent de façon irrégulière.

Tiphaine Treins raconte les détails techniques : « L’espace d’exposition utilise trois températures de couleur de 3 000 K à 4 000 K placées dans la vitrine pour éviter toute interruption visuelle. Des miniprojecteurs sont intégrés en retrait dans la structure de la vitrine. L’intérieur de ces réservations est peint en noir pour limiter la réflexion. Cela permet une mise en valeur du cœur sans aucun parasitage technique. »

Pour intégrer l’éclairage dans les grandes vitrines du musée fabriquées par Bruns, des efforts considérables ont été réalisés. Les micros profilés avec des optiques sont logés à l’intérieur des vitrines. Pour Tiphaine Treins « malgré la difficulté technique que cela représente en termes d’intégration et de design d’appareils d’éclairage, ce dispositif permet une lumière douce et “dynamique” idéale pour mettre en valeur la beauté des objets présentés dans les collections ». Même si la filière de ces rampes d’éclairage minuscules de Formalighting a été lancée juste avant de valider le prototype, des ajustements nécessaires ont été apportés ensuite.

Voûtes lumineuses du sous-sol en éclairage indirect
L’aménagement du sous-sol a dû s’accommoder d’une faible hauteur des voûtes et de l’absence de lumière naturelle. Pour Tiphaine Treins : « L’élément crucial a été de trouver une solution d’éclairage rasant sur les voûtes. Cette lumière devait être efficace pour révéler l’espace tout en minimisant la présence d’équipements techniques apparents. »

Avec le fournisseur de matériel d’éclairage Vivalyte, la conceptrice lumière a affiné les détails de mise en œuvre, comme l’esthétique. De nombreux tests sur place ont permis de trouver, pour chaque voûte, la position idéale du faisceau lumineux avec l’équipe de l’installateur d’Eiffage. Ainsi, la réflexion de la lumière est homogène sur l’ensemble de la surface courbe.

Espace extérieur du musée Dobrée

En extérieur, l’Atelier Moabi paysagiste est intervenu. L’utilisation de bornes basses de petite taille et l’éclairage des contremarches dynamisent l’espace sans compromettre le sentiment de sécurité la nuit. Pour améliorer l’éclairage architectural du bâtiment, un projet de façade sobre a été envisagé.

Dans les jardins, l’approche est plus poétique. « Elle se déploie en touches de lumière où l’ombre et la réflexion sont plus importantes que la lumière, décrit Tiphaine Treins, la promenade devient une invitation à un temps méditatif. »


De la médiation pour le futur des musées
Adeline Rispal souligne « l’importance de la médiation et l’évolution des musées. Malgré les efforts législatifs, le public des musées n’a guère changé ! Il y a une vraie nécessité d’élargir l’audience pour garantir la survie démocratique de ces institutions. J’appelle à une prise de conscience massive et à une nouvelle approche des musées pour les rendre plus inclusifs et accessibles ».


Assurément, la rénovation du musée Dobrée est une révision complète de l’approche muséographique. Elle place l’utilisateur au centre de l’expérience culturelle. C’est une véritable « maison de collectionneur », où chaque visiteur peut devenir explorateur de son propre parcours. Grâce à l’approche innovante d’Adeline Rispal et de Tiphaine Treins, et après le musée d’Arts de Nantes et le château des ducs de Bretagne, la ville est en passe de devenir un exemple de modernité pour les musées. Une réalisation qui va sans doute influencer le futur des musées au-delà du département de Loire-Atlantique.

Approfondir le sujet
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Photo en tête de l’article : Musée Dobrée, Nantes, France – plafond lumineux, éclairage indirect, modénature – Département Loire-Atlantique – Concepteur lumière Temeloy, Tiphaine Treins © Vincent Laganier, LZL Services
Équipe du projet
Livres
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Du musée à l’éclairage muséographique
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Deux livres phares autour du musée et de l’éclairage muséographique : Museum environment, de Garry Thompson à La muséologie, selon Georges Henri Rivière. |
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Qu’est-ce que la lumière vivante ? En architecture et habitat, Gerard Auer en donne une explication dans Vivre la sobriété en éclairage. |
Lieu
- Musée Dobrée
- Nantes, France