
« Une matière à part entière » Hervé Descottes
Après huit ans de pratique à Paris, le français Hervé Descottes fonde l’agence de conception lumière L’Observatoire International, à New York, en 1993. Avec son équipe, il conçoit les concepts lumière et suit leur développement. Reconnu par la profession des architectes et du design lumière, il a reçu de nombreux prix comme l’International Association of Lighting Designers – IALD, de l’Illumination Engineering Society – IES, et du New York City Illumination engineering society – IESNYC.
En 2008, il est nommé chevalier de l’Ordre des Arts et des Lettres, et en 2020, il remporte le prix Best of Year d’Interior Design pour le meilleur design lumière.
Enfin, il a coécrit Architectural Lighting : Designing with Light and Space avec Cecilia E. Ramos (Princeton Architectural Press, 2011), et Ultimate Lighting Design : Projects, avec Vanessa Thaureau (teNeues, 2006).

Qu’est-ce que la lumière pour toi ?
Hervé Descottes : Pour moi, la lumière représente beaucoup de symboliques, à des niveaux différents. Cela peut être l’émotion, la clarté, et surtout quand les choses sont claires, il y a une sensation d’organisation et d’harmonie. Mais la lumière ne peut exister sans obscurité. Nous avons une vision biaisée de l’obscurité, alors que celle-ci est nécessaire pour notre travail. L’ombre est l’inverse des ténèbres…
Quelle est ta première émotion de lumière ?
Hervé Descottes : Je viens de Dijon en Bourgogne. Quand j’étais adolescent, je partais de la maison de campagne de mes parents pour retrouver des amis dans le village d’à côté. Je me souviens, un soir, il devait être 22-23 h ; je traversais un bois, seul, avoir laissé mes amis. J’avais une impression de grande sécurité parce que je voyais très bien la route avec mon phare de scooter mais là, panne !
Au moment où mon phare s’est éteint, j’ai réalisé que je me retrouvais dans l’obscurité et le silence total. C’était une grande révélation, comme si la forêt s’était refermée sur moi !

Puis peu à peu, mes yeux se sont adaptés à l’obscurité, c’est un phénomène physiologique très commun et tout un monde s’est ouvert devant moi. Je me suis mis à percevoir beaucoup d’objets que je ne voyais pas avec le phare allumé : la forêt, les arbres, la route, le ciel. Je voyais tout ce qui m’entourait. Je suis entré dans un univers qui était tellement plus grand que celui qui était simplement guidé par le phare devant moi. Ça a été un grand moment ; une très belle révélation.
Quel est ton projet lumière le plus abouti ?
Hervé Descottes : J’en ai fait tellement ! Je pense qu’ils sont tous extrêmement bien aboutis. C’est pour cela qu’on nous rappelle et qu’on nous fait confiance si souvent.
Environ 70 à 80 % de nos clients reviennent vers nous et nous confient de nouveau des projets. Cela veut dire qu’ils trouvent une réponse dans notre travail, quelque chose qu’ils cherchent et qui trouve sa réponse dans le lighting design.


Aboutir un projet, c’est répondre à un contexte, à la demande et à la fonction de celui-ci. C’est trouver une forme d’harmonie entre l’architecture et le besoin de certains clients avec un peu de poésie et d’émotion. C’est tout ça.


Je pense que tous ces projets, c’est un peu comme des enfants. Il y en a qui sont difficiles parfois, mais ils sont tous un peu géniaux quand même ! C’est pourquoi on les aime tous ! Ils sont tous aboutis, avec leurs personnalités.
Quelle est la personnalité lumière la plus inspirante pour toi ?
Hervé Descottes : Le travail d’Henri Alekan m’a beaucoup inspiré. Il y a Le Quai des brumes, La Belle et la Bête, bien sûr, dans lesquels on trouve des moments extrêmement touchants dans le rapport à la lumière.

Dans la lumière en tant que matière, j’aime beaucoup le travail de James Turrell. C’est un peu ce que l’on fait quand on travaille sur des projets : on n’éclaire pas un projet ; la lumière fait partie du projet. Il faut comprendre cela comme base !

J’ai eu la chance de travailler avec James Turrell. Ça a été un bon moment, extrêmement inspirant.
Quel est ton objet lumineux préféré ?
Hervé Descottes : Il y en a deux. Le Soleil et la Lune. L’un émet et l’autre reflète la lumière.

Quelle est ta photographie la plus mémorable ?
Hervé Descottes : J’ai été touché par le travail de Sebastião Salgado, photographe brésilien, décédé récemment.

Il a mis en lumière et photographié avec subtilité la misère, les gens ou de la nature. Cela m’a profondément touché, d’autant plus que je l’ai entendu parler. C’était un homme rempli de belles intentions…

Comment utilises-tu l’éclairage en tant que concepteur lumière ?
Hervé Descottes : Comme une matière à part entière. La lumière fait partie de l’espace et du lieu, un raw material (une matière brute). En percutant d’autres matières, et en se présentant en cela dans l’espace.


Qu’est-ce qui est singulier dans ton approche de la lumière ?
Hervé Descottes : D’abord, c’est une démarche qui est multiple. Un projet juste doit être intégré dans un contexte. Il faut l’intégrer dans un rapport à l’histoire d’un lieu et d’un endroit. Il faut aussi prendre en considération sa position géographique.


Ensuite, c’est aussi sa fonction : comment et à quoi servira l’espace ? Je travaille avec d’autres designers ou des architectes. Il faut donc comprendre l’intention de départ de ceux et celles-ci. Comprendre ce qui est essentiel à l’échelle de son bâtiment, et pas nécessairement ce qui est directement lié à l’eclairage ou à l’importance que l’eclairage doit avoir. Je crois à une architecture ou à̀ un paysage. Je pense que c’est important de trouver ce complément, d’harmoniser cet ensemble et de trouver un moyen de rendre la lumière visible ou invisible, selon les besoins.

Avec plusieurs architectes, nous nous comprenons extrêmement bien, on parle et on échange sur les idées et les intentions. Ensemble, on cherche à donner de l’âme à un projet.
À l’avenir, que veux-tu que la lumière artificielle fasse ?
Hervé Descottes : Continuer à toucher de plus en plus de gens. Je pense que trop souvent, on n’est toujours pas dans l’awareness, c’est-à-dire la conscience de la lumière. Il faut encore alerter sur l’importance de la lumière dans notre quotidien, dans notre environnement, dans nos états d’âme et dans notre fonctionnement.

Je trouve que c’est important d’en parler. On prend la lumière comme quelque chose d’acquis alors que selon moi, il faut s’adapter à elle pour qu’elle s’adapte à nous. Finalement, il faut qu’il y ait davantage de gens qui soient au courant de ses qualités.
Propos recueillis sur Google Meet le 27 mai 2025 par Vincent Laganier.

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Photo en tête de l’article : Hervé Descottes – portrait © Courtesy of L’Observatoire International
Livres
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Équipe du projet
Lieu
- L'Observatoire International
- New York, États-Unis