
« La lumière donne du sens à l’exposition » Frédéric Beauclair
Frédéric Beauclair est un architecte d’intérieur et scénographe aux multiples talents. Il incarne une passion dévorante pour son art. Diplômé de l’École nationale supérieure des arts appliqués et des métiers d’art de Paris, section architecture intérieure, il décide en 1988 de donner vie à ses visions en ouvrant son propre cabinet. L’année suivante, il fait un saut au sein de la Direction des musées de France. Ensuite, il se spécialise dans la scénographie d’exposition et commence une carrière passionnante dans de nombreux musées et palais nationaux. En 37 ans de carrière, il a conçu et réalisé plus de 300 expositions temporaires et installations permanentes. Il travaille aussi bien en France qu’à l’étranger, notamment au Canada, à Hong Kong et à Jérusalem. À travers son œuvre, il conjugue innovation et sensibilité, transformant chaque espace en une expérience immersive et inoubliable. Mais quel est le rôle de l’éclairage et de la vitrine pour l’architecte d’intérieur ? Quelle est la place de ses réalisations ? Comment crée-t-il le design d’une vitrine ? Interview engagée du professionnel.

Qu’est-ce que les vitrines pour toi ?
Frédéric Beauclair : Mon problème, c’est que je déteste les vitrines ! Pour moi, elles devraient plus ou moins disparaître, ou au contraire être très présentes, mais tout dépend si elles sont temporaires ou permanentes.
Quel est le rôle de la vitrine dans une exposition temporaire ?
Frédéric Beauclair : Dans le cas d’une exposition temporaire, j’aurais tendance à la noyer dans mes obsessions, c’est-à-dire dans une architecture lumineuse. De toute façon, une exposition se doit d’être une architecture, et les vitrines en font donc partie. Pour moi, une exposition peut s’auto éclairer.
Comment une exposition peut-elle s’autoéclairer ?
Frédéric Beauclair : Prenons l’exemple de l’exposition que j’ai faite pour la maison de vente de Rennes Enchères, dans les halles Martenot, place des Lices. Les éclairages existants étaient insupportables, il s’agissait de grosses gamelles qui pendaient au plafond et produisaient une lumière très forte et très froide. Ce n’était pas possible de travailler avec ce matériel.
J’ai alors conçu des cimaises qui sont elles-mêmes lumineuses. Le principe est simple, ce sont des cadres en bois avec devant une toile diffusante. C’est économique, parce que l’on met juste des réglettes LED en partie basse, ce qui fait que l’on a un éclairage doux sortant du sol et qui s’autoéclaire.

Comment les cimaises lumineuses contribuent-elles à l’exposition ?
Frédéric Beauclair : Les toiles peuvent être totalement blanches, colorées, ou plus souvent comprennent une image. Cette dernière n’est pas là uniquement pour faire joli. Elle est aussi là pour apporter une information complémentaire à l’exposition.
Par exemple, lorsqu’on parle d’un peintre, on a souvent un peu de mal à savoir qui était le personnage en question. Il me semble donc important de montrer à quoi il ressemblait, les gens qu’il côtoyait, son univers, sa famille, ses sujets d’inspiration et les textes sont aussi des éléments essentiels à la compréhension de l’exposition. Finalement, ce principe va créer une ambiance lumineuse générale.
Où places-tu alors les vitrines par rapport aux cimaises ?
Frédéric Beauclair : Il est également possible d’intégrer des vitrines dans ces cimaises, qui vont pouvoir participer au visuel et compléter l’information. Elles vont perforer la cimaise et créer une sorte de fenêtre sur la suite de l’exposition.


Comment les vitrines encastrées sont-elles éclairées ?
Frédéric Beauclair : Leur éclairage peut être fait avec des spots encastrés en partie haute ou par le bas, en profitant de la lumière de la cimaise, à travers un fond translucide.
La lumière donne du sens à l’exposition en traversant l’information.
Quelle place pour la technique en plafond ?
Frédéric Beauclair : J’ai toujours beaucoup de mal à voir les grills techniques, que je trouve trop présents en partie haute des salles d’exposition. Je rajoute alors à mon dispositif scénographique des plafonds. Ils me permettent de contreventer ma structure, d’acheminer mes câbles électriques et de réfléchir la lumière. Enfin, ils rétablissent les proportions en créant des espaces plus intimistes en fonction des sujets.
Dans une exposition, tout n’est pas à présenter de la même façon, il y a des œuvres qui peuvent vivre dans de grands espaces, et d’autres qui ont besoin d’intimité.
Les plafonds peuvent aussi être lumineux.
Frédéric Beauclair : Mes plafonds peuvent aussi servir de filtre en étant éclairés par le dessus. Croyant être dans des espaces lumineux, nous sommes malgré tout éclairés à 50 lux.
C’est faible, 50 lux !
Frédéric Beauclair : Tout dépend ce que tu présentes, si tu as des œuvres fragiles, pourtant, c’est toi qui as instauré ça !
Non, mais j’ai toujours préconisé la qualité de la lumière. 50 lux, à mon âge, je ne vois rien. Je passe mon chemin !
Frédéric Beauclair : Oui, si le lieu est dans le noir avec juste un spot sur les œuvres. En revanche, s’il est lumineux, on a 50 lux sur les œuvres et l’ambiance générale reste agréable, car tout est lumière.
Quel système d’éclairage as-tu mis au point ?
Frédéric Beauclair : À partir de ce système, nous pouvons aller encore plus loin en créant un accrochage en trois dimensions, c’est-à-dire en positionnant les cadres en avant des cimaises lumineuses.
J’ai mis au point une sorte de chevalet simplifié, où il n’y a plus qu’un tube et deux mâchoires, ce qui permet d’avoir un accrochage beaucoup plus sécurisé qu’un accrochage traditionnel et beaucoup plus dynamique. Nous pouvons donc avoir, sur trois plans différents, une vitrine avec un objet, une information et une œuvre graphique.


Quelle est la plus efficace des vitrines dans une présentation ?
Frédéric Beauclair : Les vitrines incrustées dans un visuel donnent une grande unité à la présentation.
Suivant les cas et le budget, par exemple, il est possible de les éclairer avec des rubans LED ou avec des minispots Loupi sur des rails magnétiques. Même si l’on peut les voir, ils restent discrets et esthétiques.

Comment travailles-tu avec le patrimoine ?
Frédéric Beauclair : Par exemple, sur le trésor du Saint-Sépulcre à Jérusalem, nous avions Thomas Beauclair et moi un parti pris diamétralement différent. Nous avons fait le constat que l’architecture existante était très présente – niches, voûtes, piliers – avec une hygrométrie très importante. Il ne fallait donc pas s’encastrer dans les murs existants, car cela risquait de représenter une très grande complication de mise en œuvre.
Où sont placées les vitrines pour le Saint-Sépulcre ?
Frédéric Beauclair : Cette fois-ci, les vitrines, souvent imposantes, ne touchent pas l’architecture. Elles se trouvent comme en lévitation entre les piliers. Elles deviennent support de lumière pour mettre en valeur l’architecture en éclairant dessus, dessous, et bien évidemment à l’intérieur aussi.
Quelle est la place de la lumière en scénographie d’exposition ?
Frédéric Beauclair : La lumière est un peu mon obsession. Elle est pour moi primordiale dans notre métier de scénographe, comme dans celui d’architecte. Il me semble essentiel que l’éclairage ne soit pas pensé après mais pendant, si ce n’est avant la conception d’un projet. Cela me semble difficile de dire à un éclairagiste, « j’ai fait un projet et maintenant débrouille-toi pour que cela soit lumineux ».
Oui, mais tu ne fais que très rarement appel à un éclairagiste !
Frédéric Beauclair : Cela m’arrive de temps en temps, lorsque j’ai les moyens d’en avoir un, ou lorsqu’il y en a un sur place, ce qui était le cas au château de Versailles.
Dans ce cas, qui fait la conception lumière pour l’exposition ?
Frédéric Beauclair : Je fais les plans d’implantation des éclairages en fonction du parti pris général, et je les soumets à l’éclairagiste pour correction. Il me semble important que le scénographe ait une double compétence, espace et lumière, pour une bonne cohérence générale du projet.
Merci pour ce partage de ta conception de l’intégration de l’éclairage dans l’exposition, les vitrines et chevalets.
Jean-Jacques Ezrati
Interview sponsorisé par LOUPI.
Approfondir le sujet
- Frédéric Beauclair, profil LinkedIn
- Milan : Museo del Novecento, lumière et scénographie exposition
- Soleil·s : Solar Biennale 2 à Lausanne, Mudac et EPFL
- Musée d’Art de Toulon, la conception lumière Wonderfulight
Photo en tête de l’article : Exposition « Nature et merveilles », cimaises lumineuses et toiles diffusantes, halles Martenot, Rennes, France – Architecte d’intérieur, scénographe et photo © Fréderic Beauclair
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