Refuge en coquilles Saint-Jacques, chemin de Compostelle
L’événement artistique Fenêtres sur le paysage existe depuis 2016. De là est née l’idée d’une collaboration exceptionnelle avec des artistes français. À la manœuvre, « Derrière le Hublot », la scène conventionnée rurale d’art de l’Aveyron. Objectif : créer des œuvres d’art-refuge le long du chemin de Saint-Jacques de Compostelle, sur le GR 65. Entre 2018 et 2023, une première collection de sept installations pérennes est réalisée. Rencontre avec Sara de Gouy, artiste plasticienne et architecte du refuge contemporain Pecten Maximus.
Choix du lieu pour un refuge du chemin de Compostelle
Sara de Gouy a reçu carte blanche pour concevoir une œuvre unique en son genre. La seule contrainte : créer un refuge capable d’accueillir gracieusement jusqu’à quatre pèlerins dans un budget défini. Immergé dans la nature, ce tiers-lieu sans eau ni électricité offre une halte paisible. Il est non réservable à la manière des refuges de haute montagne.
À partir de février 2021, au fil de ses résidences à Limoges, l’artiste a engagé un dialogue avec la terre et ses habitants, tissant des liens indéfectibles avec la région et son histoire profonde. Après une quête minutieuse, elle sélectionne un site d’une beauté saisissante dans une vallée sèche, témoin d’une rivière disparue il y a trois millions d’années. L’œuvre est située là où le chemin de Compostelle s’enroule délicatement autour d’un écrin d’arbres majestueux. Plus exactement, entre Cahors et Villefranche-de-Rouergue, à côté de Limogne-en-Quercy dans le Lot. Le refuge s’enracine dans le passé tout en étant résolument tourné vers l’avenir. Cet espace est avant tout un lieu de repos dédié aux âmes voyageuses. Il marque leurs esprits bien au-delà de leur périple physique à travers le plateau du Quercy.
De la géologie à la coquille Saint-Jacques
Nous voici dans le parc régional naturel des Causses du Quercy. Classé géoparc mondial par l’Unesco, les souvenirs d’une mer ancienne se révèlent à travers les fossiles et les grottes parsemés dans le paysage. L’artiste Sara de Gouy est touchée par la beauté et l’histoire de cette nature sculptée par le temps que lui raconte le géologue Thierry Pélissié. Elle a été bouleversée par la découverte de coquilles Saint-Jacques fossilisées, symboles d’un passé lointain inscrit dans la pierre calcaire. Ces vestiges, échos d’une mer tropicale disparue, ont éveillé en elle une vision architecturale.
Ainsi, l’artiste envisage une métamorphose poétique : convertir la coquille Saint-Jacques, déchet maritime abondant, en un matériau de construction novateur qui continuerait de raconter son histoire millénaire. Sara de Gouy s’est plongée dans le monde de la Saint-Jacques, découvrant à la fois l’impact de la pêche traditionnelle et les méthodes durables de récolte par plongée en Bretagne avec Julien Camus. Cette dernière respecte l’écosystème et offre des coquillages de qualité supérieure. Une démarche respectueuse de l’environnement qui ouvre la voie à une utilisation consciente et poétique des ressources de la mer.
Valoriser un déchet marin pour l’architecture contemporaine
Une coquille Saint-Jacques n’est pas qu’un vestige marin, c’est également une source d’inspiration et un symbole de notre créativité renouvelée. Et dans l’architecture, le choix du matériau forge l’esthétique. La relation forme-matière, souvent ignorée dans les pratiques professionnelles, recèle des potentiels insoupçonnés. À l’image des coquilles Saint-Jacques, qui sont de simples déchets marins pour certains, et peuvent devenir des trésors de réutilisation dans une chaîne globale pertinente. La transformation de ces déchets en ressources interroge notre perception de la beauté et de la fonctionnalité. L’architecte Sara de Gouy incarne cette quête en sculptant des matériaux ordinaires en récits architecturaux chargés d’émotion.
Au cours de ses recherches, elle apprend que la poudre de coquilles Saint-Jacques est utilisée traditionnellement au Japon dans la peinture extérieure. Elle s’avère être un formidable antifongique naturel. Cette découverte, dévoilée par Laurent Chauvaud, chercheur au CNRS, allie esthétique et fonctionnalité, offrant aux bâtiments une protection durable contre l’humidité et les mousses. Cet usage ancestral, qui confère aux façades une beauté unique, témoigne d’une symbiose avec la nature et d’un riche héritage culturel. La coquille Saint-Jacques, au-delà de son rôle utilitaire, s’érige alors en protectrice des édifices contre le temps et l’altération.
Inspirée par la richesse naturelle des coquilles Saint-Jacques, l’essence du projet architectural s’incarne dans une recherche de l’esthétique et de la durabilité. Traditionnellement blanchies, ces coques révèlent une palette de couleurs et de motifs captivants, variant selon leur origine. Un clin d’œil à la biodiversité, que l’architecte intègre subtilement dans son œuvre.
Projet architectural du refuge Pecten Maximus
Au cœur de cette création, une structure innovante émerge tel un vaisseau renversé. Elle est harmonieusement posée sur le terrain en pente. Avec une référence poétique aux charpentes de Philibert Delorme, l’édifice présente une silhouette élancée et délicate. C’est une proue de bateau pointant vers l’horizon, tandis que des lignes symétriques évoquent les chapelles historiques de l’Aveyron.
Le projet architectural est tourné vers l’ouest. Cette disposition offre une large ouverture sur la vallée sèche à travers une baie vitrée spectaculaire. Avec une petite terrasse extérieure, elle permet une communion unique avec le paysage environnant.
Sara de Gouy réinvente enfin l’écoconstruction en transformant les coquilles Saint-Jacques en un béton marin écologique pour le sol. Ce matériau durable, qui allie esthétique et respect de l’environnement, pose un jalon pour l’avenir de la construction. Utilisant 7000 coquilles concassées, il célèbre aujourd’hui notre lien historique avec les océans.
À la recherche de solutions innovantes, l’architecte a entamé la phase de réalisation de son projet avec une détermination à toute épreuve. Elle a rapidement fait appel à un ami, collaborateur de longue date et artisan aguerri. Gaspard Lautrey, de la société C-Cube, a construit le défi de ce concept inédit. Ensemble, ils ont plongé dans l’aventure, explorant chaque possibilité pour donner vie à la structure.
Sara de Gouy décrit avec émotion le parcours semé d’embûches, évoquant les lames de bois fines de mélèze comme des feuilles et pourtant capables de s’inscrire dans l’éternité du lieu. Malgré les défis, l’esprit d’innovation a triomphé, reflétant la force de l’engagement et l’amour du métier qui animent ces artisans de l’espace.
Approvisionnement des coquilles Saint-Jacques
Dans cette aventure humaine et artistique touchante, l’artiste a aussi entrepris un projet des plus singuliers : rassembler 15 000 coquilles Saint-Jacques. La tâche ne fut pas simple. Des heures de travail ardu, de collecte, de nettoyage, avec l’aide précieuse d’un réseau de restaurants, de citoyens bretons, lyonnais et d’élèves engagés d’une école toulousaine Saint-Stanislas. Cette dernière a même relevé le défi incroyable avec 2 500 coques, contribuant à ce que l’œuvre prenne forme. Ainsi, l’effort associatif a été spectaculaire.
Lumière et transparence des nacres sous le soleil
La lumière revêt une importance capitale dans les projets de l’architecte. Elle est traitée avec une approche unique pour chaque espace. L’idée première, audacieuse, était de créer une structure où le bois se ferait discret, laissant place à la magie de la nacre en transparence.
Bien que cette vision ait été légèrement redessinée, l’âme artistique du projet conserve son essence : le vitrail de coquilles Saint-Jacques en contre-jour du soleil est préservé dans la proue du refuge. Les coquilles continuent ainsi à dialoguer avec la lumière. De son côté, l’auvent épuré révèle sans détour également cet habillage précieux. Même dans ses ajustements, le projet reste fidèle à sa quête première : celle d’une architecture qui touche le cœur par sa pureté et son élégance.
Dans cette œuvre, Sara de Gouy a aussi exploré l’obscurité à l’intérieur du refuge, éveillant une atmosphère mystérieuse tout en évitant l’usage de lumière artificielle. En effet, il n’y a pas de lumière sur le site. La plupart du temps les visiteurs viennent avec leur lampe solaire précise l’architecte.
Baie vitrée, le confort du cocon
La fermeture en verre est un élément clé de cette structure. Elle enveloppe l’espace d’une chaleur protectrice. Elle permet aux résidents occasionnels de profiter d’un cocon confortable. Le tout malgré les défis d’un terrain en pente et des vents dominants de l’ouest.
Le souci de créer un refuge qui allie fonctionnalité et bien-être a mené à la conception d’un espace intérieur généreux. Avec une surface d’environ 20 m2, cette œuvre d’architecture témoigne d’une réflexion profonde sur le confort en milieu naturel. Elle offre une baie vitrée qui non seulement protège, mais révèle également la beauté du paysage alentour.
Les familles peuvent s’y réunir et tisser des souvenirs précieux. C’est une invitation à se blottir ensemble, à contempler et à vivre pleinement, enveloppés par l’ingéniosité et la générosité d’un espace pensé pour l’épanouissement des âmes voyageuses.
QR code au cœur du refuge
Un QR code au cœur du refuge offre aux visiteurs un livret enrichissant. Ce lieu, vibrant hommage aux traditions et à l’écologie, est le fruit du talent de Sara de Gouy. Familles et voyageurs y cherchent sérénité et inspiration, entourés de nature et d’art. Sur la route de Compostelle, ce havre de paix est un poème de coquilles Saint-Jacques invitant au respect et à l’harmonie.
Mais ce projet n’est pas seulement une œuvre d’art. C’est un cadeau de beauté et de rêverie offert au public, loin des considérations pécuniaires. Il incarne le généreux principe de gratuité, transformant un espace qui aurait pu être un simple refuge de luxe en un lieu imprégné de significations et accessible à tous.
Secrets de la coquille Saint-Jacques
Pendant ses recherches, l’artiste a permis de percer certains secrets de la coquille, à l’instar du travail de Laurent Chauvaud, qui a découvert que chaque strie sur la coquille correspond à un jour. D’une perturbation météorologique à une marée noire, chaque épreuve qu’elle subit s’inscrit dans sa coquille comme une page d’un journal intime, une archive biologique précieuse. La Saint-Jacques enregistre les variations climatiques comme un journal intime de l’océan.
Elle est une véritable sentinelle, se révélant être un témoin privilégié de l’histoire climatique et écologique. Ainsi, à travers le temps, les scientifiques sont capables de remonter jusqu’à 10 000 ans en arrière, déchiffrant dans la glace antarctique les événements passés qui ont marqué l’environnement marin. La datation au carbone nous ouvre une fenêtre sur des instants précis où notre terre a souffert. Ces découvertes ouvrent des horizons nouveaux quant à l’utilisation de ces coquilles non plus comme déchets, mais comme témoins de notre histoire climatique.
Parc régional des Causses du Quercy
Le paysage, dominé par de majestueux chênes verts, est un patchwork de murets de pierres sèches, vestiges de labeurs ancestraux. Ces constructions, témoins silencieux de traditions anciennes, servaient jadis d’abri aux bergers et aux agriculteurs. Avec plus de 350 cabanes les Cayrou sur le village, elles sont une composante indissociable de l’identité du paysage.
Les concepteurs du premier refuge « Super-Cayrou », Encore Heureux Architectes et Pieter Dijkstra, ont apporté une sensibilité respectueuse du patrimoine. Situé à une étape de marche du refuge Pecten Maximus, soit environ 20 km, ils ont su s’inspirer de l’omniprésence de pierres sèches pour créer des espaces de repos qui s’intègrent harmonieusement dans le territoire. Le projet, délicatement ancré dans son environnement, réaffirme la relation entre l’homme et la terre.
La beauté du Quercy réside dans son immuabilité et sa capacité à éveiller nos sens, à nous ramener à l’essentiel. C’est un hymne à la nature, un espace où le temps semble suspendu et où chaque pierre, chaque arbre, raconte son histoire millénaire. La visite de ce parc est un pèlerinage émouvant, un retour aux racines géologiques de notre monde.
Exposition sur les refuges : Fenêtres sur le paysage à Rodez
L’exposition « Fenêtres sur le paysage » offre un panorama exceptionnel et complet de la collection d’œuvres d’art refuges. Rassemblant des projets habituellement dispersés sur 851 kilomètres, elle forme un véritable continuum artistique. À travers divers objets, maquettes et photographies de Kristof Guez, l’exposition met en lumière la diversité exceptionnelle et la singularité de chaque œuvre dans le paysage. Une occasion unique de plonger dans l’univers riche et varié des artistes du parcours sur les chemins de Saint-Jacques de Compostelle !
Infos pratiques
- Fenêtres sur le paysage
- Du 7 juin du 28 septembre 2024
- Galerie Sainte-Catherine
- Rodez, Aveyron, Occitanie
- Mardi, jeudi et vendredi : 14 à 18h
- Mercredi : 10 à 13h et 14 à18h
- Samedi : 10 à 13h
- Gratuit
Approfondir le sujet
Équipe du projet
Lieu
- Pecten Maximus
- Limogne-en-Quercy, France
Livres
Éclairage et lumière du IIIe millénaire, 2000-2050, un livre collector
Depuis 20 ans, le phénomène éclairage vit une mutation sans précédent. Ville, architecture, conception lumière, pollution lumineuse. |
Matières et matériaux, Architecture, Design et Mode
Les nombreux et prestigieux projets montrés dans ce livre nous entraînent au cœur des process innovants du design actuel, autour des matières et matériaux. |
Vivre la sobriété en éclairage, traduit par Maxime Brunois
Qu’est-ce que la lumière vivante ? En architecture et habitat, Gerard Auer en donne une explication dans Vivre la sobriété en éclairage. |