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Revoir van Eyck au musée du Louvre

À l’occasion de la restauration inédite de La Vierge du chancelier Rolin, le musée du Louvre nous invite à revoir ce chef-d’œuvre de Jan van Eyck.
19 avril 2024

Il n’y a pas que La Joconde au Louvre. Si elle attire moins de visiteurs que la célèbre Mona Lisa, La Vierge du chancelier Rolin n’en est pas moins considérée comme un chef-d’œuvre de la peinture occidentale. Elle est l’œuvre de Jan van Eyck qui, quelques décennies avant Léonard de Vinci, va perfectionner la technique de la peinture à l’huile. Le peintre a superposé de fines couches de peinture appelées glacis afin de moduler les couleurs et de rendre avec réalisme les ombres, les reliefs ou les effets de matière. Après avoir traversé ces couches translucides, la lumière est diffusée par la préparation blanche sur laquelle elles ont été appliquées. Tel un vitrail, les glacis filtrent la lumière qui semble ainsi provenir de l’arrière du tableau.

Jan van Eyck nous place face à la Vierge

Presque carré, le tableau étonne d’abord par la précision des détails par rapport à ses dimensions assez modestes (66 cm x 62 cm), qui rappelle l’art de l’enluminure.

Jan van Eyck, La Vierge du chancelier Rolin après restauration © RMN-Grand Palais, musée du Louvre, Michel Urtado

À notre droite, une Vierge à l’Enfant couronnée par un ange. À notre gauche, le chancelier Rolin en prière. Homme politique majeur au service du duc de Bourgogne Philippe le Bon, Nicolas Rolin fut le commanditaire de ce tableau de dévotion qu’il pouvait sans doute emporter dans ses nombreux déplacements. Pas de méprise, le chancelier ne s’estime pas au niveau de la Vierge. Le chapiteau au-dessus de lui représente des épisodes bibliques évoquant des péchés bien terrestres, comme une mise en garde. Face à La Vierge de Lucques, prêtée pour la première fois par le Städel Museum de Francfort, le visiteur est placé dans une position proche de celle du chancelier Rolin.

Jan van Eyck, La Vierge de Lucques © Städel Museum, Frankfurt am Main

La composition de La Vierge du chancelier Rolin est structurée par la convergence des lignes de fuite au centre du tableau. Une perspective bien maîtrisée qui semble aller à l’encontre du prétendu retard des primitifs flamands sur ces questions par rapport aux peintres italiens. Cette impression est confirmée en 2021 par le chercheur Gilles Simon. En analysant numériquement plusieurs œuvres de van Eyck, ce spécialiste de la vision par ordinateur affirme que le peintre a probablement fabriqué un dispositif optique pour construire les perspectives de ses peintures.

Revoir Paris

Le titre de l’exposition Revoir van Eyck est une invitation à redécouvrir le tableau restauré pour la première fois. Était-ce voulu par Sophie Caron, commissaire de l’exposition ? Ce titre semble aussi être un clin d’œil à la chanson Revoir Paris de Charles Trenet. Pourtant, les liens entre van Eyck et Paris sont ténus. En 1435, date estimée d’exécution du tableau, la France ne ressemble pas vraiment à notre Hexagone actuel.

Carte en 1435, pendant la guerre de 100 ans © Aliesin, Wikipédia

Certes, l’épopée de Jeanne d’Arc et le sacre de Charles VII à Reims en 1429 ont marqué un tournant décisif dans la guerre de Cent Ans. Mais Paris est toujours occupée par les Anglais et n’est plus le centre économique et culturel qu’elle était un siècle plus tôt.

Entre les tours de Bruges et Gand

Pour (re)voir van Eyck, il faut plutôt aller sur les terres de Philippe le Bon, et plus précisément entre les tours de Bruges et Gand. Commençons à Gand, où le monumental polyptyque de l’Agneau mystique réalisé par les frères van Eyck se déploie à l’étroit dans l’ancien baptistère de la cathédrale Saint-Bavon.

Hubert et Jan van Eyck, polyptyque L-Agneau mystique, achevé en 1432, Gand © Web Gallery of Art, Wikipédia

Débutée en 2012, la restauration partielle du polyptyque a fait l’objet d’une exposition en 2020, prématurément interrompue par le confinement lié au covid. Les visiteurs chanceux ont pu admirer les panneaux restaurés avec une proximité inédite.

Jan van Eyck est sans doute encore plus associé à la ville de Bruges. Reliée à la mer du Nord et aménagée de nombreux canaux, Bruges constituait alors l’une des places commerciales et financières parmi les plus importantes d’Europe. Au musée Groeninge, La Vierge au chanoine Van der Paele constitue un autre chef-d’œuvre de van Eyck. Si le tableau partage de nombreux points communs avec La Vierge du chancelier Rolin, ses dimensions sont très différentes : 141 cm x 176 cm, mais il existe toujours la même précision dans les détails à des échelles submillimétriques.

Jan van Eyck, La Vierge au chanoine Van der Paele, Bruges 1436 © The Yorck Project (2002), Wikipédia

La Vierge d’Autun

La Vierge du chancelier Rolin est arrivée à Paris en 1800. Elle intègre les collections du Louvre, récemment transformé en musée. Aujourd’hui encore dénommé Vierge d’Autun, le tableau a été conservé pendant plus de 350 ans dans la ville bourguignonne, au sein d’une chapelle de l’église Notre-Dame-du-Châtel, démolie à la Révolution. Au niveau du chœur de l’ancienne église, les archéologues ont découvert le tombeau de Nicolas Rolin en 2020. Le chancelier garda un attachement fort pour sa Bourgogne natale. En 1441, il fonde les hospices de Beaune avec sa femme Guigone de Salins. Ils sont représentés comme donateurs sur le polyptyque du Jugement dernier de Rogier van der Weyden, autre monument de la peinture flamande. Au XIXe siècle, les panneaux du retable ont été sciés dans leur épaisseur pour en exposer à la fois l’envers et l’endroit.

Rogier van der Weyden, polyptyque Le Jugement dernier (envers), Hôtel-Dieu de Beaune, 1441 – Le chancelier Rolin est représenté sur le panneau en bas à gauche © Arnaud 25, Wikipédia

Le traité d’Arras

Parmi les mystères que renferme La Vierge du chancelier Rolin, l’identité des deux petits personnages observant le paysage reste largement débattue. Celui avec le turban rouge est probablement le peintre lui-même. Ne s’est-il pas déjà représenté dans le reflet du miroir convexe des Époux Arnolfini (à la National Gallery de Londres) ? D’autres aimeraient donner une dimension géopolitique au tableau : une rencontre au sommet entre Charles VII et Philippe le Bon contemplant la paix retrouvée entre Français et Bourguignons grâce au traité d’Arras signé en 1435. Côté bourguignon, le chancelier Rolin était à la manœuvre, et van Eyck sûrement présent. Le peintre avait en effet également un rôle d’ambassadeur auprès du duc de Bourgogne.

Après dix-neuf ans d’occupation anglaise, Charles VII revoit Paris en 1437, mais ne s’y installe pas, préférant le Val de Loire. C’est en roi victorieux qu’il est représenté par Jean Fouquet. Un portrait de trois quarts à la peinture à l’huile selon les usages des primitifs flamands. Conservé à la Sainte-Chapelle de Bourges, il intègre le Louvre en 1838, quelques décennies après la Vierge d’Autun. La guerre civile franco-bourguignonne est alors définitivement oubliée, et le centralisme culturel durablement établi !

Jean Fouquet, Charles VII, musée du Louvre, 1461 © The Yorck Project (2002), Wikipédia

Infos pratiques

  • Revoir van Eyck, La Vierge du chancelier Rolin.
  • Musée du Louvre.
  • Aile Sully, 1er étage, salle de la chapelle.
  • Du 20 mars au 17 juin 2024.

Approfondir le sujet

Livre : Jan van Eyck, Als Ich Can

Ludovic Balavoine, Jan van Eyck, Als Ich Can, 2021 – couverture © Presses Universitaires du Septentrion
  • Auteur : Ludovic
  • Éditeur : Presses universitaires du Septentrion, 2021.
  • 288 pages.

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Lieu

  • Musée du Louvre
  • Paris, France

Équipe du projet

Maîtrise d'ouvrage Musée du Louvre
Commissaire d'exposition Sophie Caron
Peintre Jan van Eyck Hubert van Eyck Rogier van der Weyden Jean Fouquet
Enseignant-chercheur, Lionel Simonot enseigne l’éclairagisme depuis 2003 à l’École nationale supérieure d’ingénieurs de Poitiers – ENSI Poitiers : cours magistraux et pratiques en photométrie, technologie des sources de lumière, dimensionnement électrique et interactions lumière matière. Ses activités de recherche portent sur les propriétés optiques et l’apparence des matériaux, notamment via le GDR APPAMAT. Applications : films minces nanocomposites, couches de peinture en glacis ou vernis et objets obtenus par impression 3D. Il est auteur de la transposition du livre de Pierre Bougueur, Essai d’optique sur la gradation de la lumière, du livre rétrospectif et prospectif, Éclairage et lumière du IIIe millénaire, 2000-2050, aux éditions Light ZOOM Lumière en 2021.

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