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Conception lumière : pensée et mission de la perception visuelle

De la perception visuelle au processus circadien. De l'esthétique au bien-être dans l’espace. Conception lumière, pensée et mission.

La fonction visuelle dans toutes les composantes de la perception visuelle, photobiologique, neurobiologique et socio-culturelle est un point de passage en interaction avec de nombreux processus importants pour l’exercice de nos fonctions essentielles. Chacun de ces processus constitue une étape dans chacun de nos déplacements, dans chacun de nos exercices d’observation, de contemplation ou d’analyse fonctionnelle ou émotionnelle, même fugitive, de l’environnement qui nous entoure.

On peut en esquisser un inventaire que nous emprunterons, de mémoire, pour l’essentiel à Christian Corbé, et qui comprend : l’alerte, l’attraction visuelle, la reconnaissance du lieu, des objets.

  • L’observation de l’environnement, la reconnaissance du moment, du danger, des conditions de bien-être, jusqu’à la contemplation.
  • La réélaboration du regard, a posteriori, par l’image, ailleurs et en compagnie d’autrui par un échange oral, par l’écrit, par différents niveaux d’analyse par une analyse contextuelle, une analyse historique, climatique.
  • La réélaboration et l’évaluation des informations qui nous sont communiquées par notre environnement, par les situations, par l’image et par le mouvement.
  • La mémorisation des connaissances, et bien entendu la régulation circadienne notamment du point de vue cardio-vasculaire, psychique, ou de la division cellulaire.

Conception lumière et bien-être

C’est pourquoi, dans son souci constant de qualité du projet et d’impact environnemental, le monde de la conception lumière s’emploie ces dernières années à inventorier et consolider ses prérogatives.

Soucieux de la valeur de ses prestations, le milieu a bien compris que celles-ci étaient fréquemment assimilées sans autre forme de procès à une indication de matériel d’éclairage visant essentiellement à proposer une augmentation de la quantité de lumière en tant que solution passe-partout. Il se doit donc d’énoncer de plus en plus clairement et d’une manière sans cesse plus approfondie sa pensée en matière de qualité visuelle.

Dans cet objectif, le concepteur lumière d’aujourd’hui revendique y compris la possibilité d’évaluer la nécessité de l’extinction ou de la suppression de certains éclairages afin d’organiser un paysage visuel pertinent et esthétique, tout autant que fonctionnel. La démarche du noir, de la qualité de la nuit, ou d’une dimension de pénombre, comme leur rôle dans le cycle de vie de l’être humain, envers son sommeil ou envers le juste intervalle de la transition harmonieuse au cœur de l’architecture et du paysage est aujourd’hui clairement affirmée dans la profession. Elle recouvre ainsi plus complètement la question évoquée précédemment de l’éclairage intégratif tourné vers les nécessités propres à l’humain.

Ce degré de conscience place définitivement les enjeux de la perception visuelle et non-visuelle évoqués[1] [2] (et réunis dans les articles cités précédemment sous l’appellation d’éclairage intégratif ou Integrative Lighting), au cœur de notre activité et ceci dans un environnement tant familier que professionnel. Il situe les conditions de notre bien-être cognitif, de notre conscience de l’espace, de l’indispensable exercice de réélaboration visuelle, émotionnelle, artistique, réparatrice, méditative, et de la régulation et de l’exercice optimal de nos fonctions de veille, comme de celle de notre indispensable sommeil réparateur, au centre de la compétence du concepteur lumière. Ces enjeux par leur aspect fondamental tout autant qu’en raison de nécessités de diagnostic d’abord, mais aussi, et ce selon une pratique plus récente, de validation dans le temps des mesures adoptées, nécessitent que le projet soit mené dans le cadre d’une pratique collaborative sans cesse plus construite. Cette dernière est conditionnée par l’existence d’un processus d’accompagnement en amont comme en aval du chantier.

La question de l’éclairage intégratif, en ce qu’elle nous désigne entre autres la question visuelle et comportementale, nous impose de reparcourir un certain nombre de notions déjà explorées par le passé, qui constituent le cœur de la pensée et de la mission du concepteur lumière et qui se voient aujourd’hui rappelées à notre esprit par les travaux les plus récents.

 

 

Perception visuelle et processus circadien

Aujourd’hui, l’expérience de la prise en compte de l’aspect non-visuel du Human centric lighting suit un parcours d’évolution marqué notamment par l’apparition de méthodes de mesures expérimentales telles que le Circadian Stimulus (Cs) ou la prise en compte présente dans le Well Building Standard de l’Equivalent Melanopic Lux.

Par ailleurs, la connaissance du processus circadien, au fil des études scientifiques progresse. Ce XXIe siècle, que l’on a qualifié de siècle du cerveau, est d’ores et déjà porteur d’opportunités qu’il ne tiendra qu’à nous de savoir exploiter pour parfaire notre pratique. Les travaux publiés dans le domaine de recherche de la neuroesthétique nous parlent d’un centre de l’esthétique situé dans notre cerveau. Celui-ci, excité par un message visuel (ou auditif), stimule par voie de conséquence les zones cognitives de ce même cerveau. Cette stimulation est suscitée par l’observation de situations visuelles ou auditives (tableaux, scénarios visuels, sculptures ou musique), transmises à ce que certains appellent aujourd’hui le centre de la beauté (correspondant à une zone spécifique du cortex orbito-frontal médial)[3]. Elle a notamment le mérite, en milieu hospitalier, de renforcer l’efficacité des traitements contre la maladie d’Alzheimer, dans lesquels la stimulation cognitive est stratégique[4].  Elle est par conséquent révélatrice d’une dimension de bien-être exploitable, tout comme la régulation circadienne, non seulement au bénéfice des personnes affaiblies, mais également dans le cadre de notre existence quotidienne.

En complément des travaux de Semir Zeki, on note également ceux de Vilayanur Ramachadran qui ont trait à l’aspect culturel de la sensation esthétique chez les sujets étudiés. Ceux-ci visent à la détermination d’une forme de diagnostic d’identification de la notion de beauté chez le sujet observé en fonction de l’expérience socio-culturelle de celui-ci[5].

Notion d’esthétique et recherche de qualité

En transposant l’impact de ces observations dans notre environnement quotidien on peut comprendre combien ces travaux, dont nous citons plus avant les références, nous ouvrent des horizons qui justifient la recherche de qualité esthétique au sein du projet architectural et du projet d’éclairage. Ils introduisent la possibilité d’un système relationnel fondamental relié à une fonction de l’Humain à laquelle nous avons le privilège de nous adresser.

Ils appelleront sans doute dans les temps à venir un supplément de réflexion de notre part, tant vis-à-vis de l’enseignement de la conception lumière que de notre pratique.

Au chapitre des nouvelles frontières qui s’offrent à nous on peut également citer d’autres travaux récents qui ont fait avancer notre connaissance sur le rôle de notre cerveau dans la perception visuelle, tout comme nous l’avons vu précédemment pour celle non-visuelle.

Perception visuelle et corps dans l’espace

Il s’agit de la découverte de cellules permettant au cerveau de se positionner dans l’espace (John O’Keefe, May Britt-Moser, Edvard Moser, prix Nobel de médecine 2014). Celle-ci est appelée à venir dans le futur enrichir les travaux de James J. Gibson et de Ernst Gombrich sur la perception visuelle et l’anticipation des volumes et des espaces qui nous entourent. Elle nous confirme ainsi combien l’éclairage dans l’architecture, outil essentiel de notre perception visuelle, est utile à la stimulation de notre cerveau, comme à la compréhension de nos déplacements.

Revitalisation du centre-ville de Decazeville, Aveyron, Occitanie – Concepteur lumière : Lionel Bessières © Quartiers Lumières

Elle renforce notre position quant à la définition du champ d’action de l’éclairage sur notre perception visuelle laquelle répond à une stimulation issue d’une prise de position plus ou moins artistique, mais nous pourrions également dire : plus ou moins fonctionnelle.

Elle représente en somme également une confirmation du bien-fondé des questions évoquées par le concepteur lumière William C. Lam [6] lorsqu’en 1982 il éprouvait le besoin d’inventorier parmi ses préoccupations, « la classification attributive des stimuli visuels », « la recherche inconsciente d’une forme d’organisation de l’espace », « l’attente » émotionnelle et fonctionnelle de l’individu par rapport à son environnement, aux luminances, aux couleurs, « la composante affective de la perception »[6].

 

 
 

 

À suivre…

Éclairage anthropocentré – Human Centric Lighting – et éclairage intégratif

Notes de lecture

[1] KW Houser, PR Boyce, JM Zeitzer, M Herf, « Human-centric lighting: Myth, magic or metaphor? », Lighting Research and Technology, octobre 2020, p. 6-14.

[2] Kevin W. Houser, Tony Esposito, « Human-Centric Lighting: Foundational Considerations and a Five-Step Design Process », Frontiers in Neurolology, 27 janvier 2021, p. 1. https://www.frontiersin.org/articles/10.3389/fneur.2021.630553/full

[3] Tomohiro Ishizu, Semir Zeki, « Toward a Brain-Based Theory of Beauty », 6 juillet 2011. https://journals.plos.org/plosone/article?id=10.1371/journal.pone.0021852

[4] Luca Francesco Ticini, “Neuroestetica : le basi neurobiologiche della bellezza e del benessere”, in Enzo Grossi, Annamaria Ravagnan, Cultura e salute : La partecipazione culturale come strumento per un nuovo welfare, Milan, Springer-Verlag Italia, 2013.

[5] V.S. Ramachandran, William Hirstein, « The Science of Art: A Neurological Theory of Aesthetic Experience », Journal of Consciousness Studies, 2011, www.imprint-academic.com/jcs

[6] W. M.C. Lam. [1982] Éclairage et architecture : 55 exemples américains, Paris, éditions Le Moniteur, p. 31-70.

 

Ce texte est une version complétée de la conférence présentée par les auteurs dans le cadre du colloque éclairage de l’université de Troyes, le 30 septembre 2021 : de l’éclairage circadien au HCL (Human Centered Lighting) : integrative lighting, ou éclairage intégratif.

 
 
 

Approfondir le sujet

Photo en tête de l’article : caves de Champagne Joseph Perrier, Châlons-en-Champagne, France – Concepteur lumière : Lumesens © Rodrigo Apolaya Canales

Éclairagistes conseil. Tous deux se sont réunis en collectif sur le thème de la lumière et de la santé et se consacrent ensemble à la réalisation de projets, à l’enseignement et à l’exploration des conditions dans lesquelles ces nouvelles perspectives influent sur la pratique de la conception des environnements éclairés.
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