Insomnies diurnes avec le film The Brutalist de Brady Corbet
Éclats obliques avec le film The Brutalist. La journée se termine et la salle s’éteint. Les yeux s’accommodent alors et l’œuvre s’allume. Nous partons pour un drame de 3 h 35 en deux actes, avec entracte.
Film The Brutalist, critique lumière
Sur un scénario signé Brady Corbet et Mona Fastvold, le public s’immisce dans l’intimité de László Tóth. C’est la silhouette découpée d’Adrien Brody qui a été choisie pour donner toute son intensité à cet architecte moderne du début du vingtième siècle. Sans piano, il incarne de nouveau un Juif ayant échappé à l’holocauste. Celui-ci migre aux États-Unis sans savoir qu’il construira une fresque sociale dépassant les lois de l’architecture. Car oui, il s’agit bien d’une déclaration d’amour au premier art. Avec une bande-son magistrale et des lumières tamisées, on découvre l’édification d’un pari osé aux multiples récompenses.

Braises inextinguibles
Près de 80 ans séparent notre époque de celle du récit, pourtant, il n’est toujours pas anodin d’évoquer Israël et l’Amérique. Pour ces destins croisés, il s’agit d’édifier un sens face à une mémoire fragile. L’architecture des Modernes participe à cette histoire. Après les conflits mondiaux, cette discipline se métamorphose vers une abstraction brutale qui invite la lumière à faire réagir.

Ce médium immatériel revêt alors de nombreuses symboliques dans des perspectives qui viennent rompre l’inébranlable. Dans ce nouveau monde qui se questionne, l’étranger, parfois juste « toléré », participe à une écriture commune. Ce film nous raconte les dérives d’un siècle malade. Pour l’illustrer, on retiendra alors ce plan du film The Brutalist sur la statue de la Liberté renversée sur un ciel laiteux.

Vision écrasante
Face à cette période en construction, un homme se débat pour ériger une vie, une carrière, un couple à travers l’architecture. Les références à cette discipline se multiplient alors tout au long de ce fleuve du septième art. Du dessin de la chaise à la Biennale de Venise en passant par les vues sur la maquette et le chantier, ce film s’adresse à une assistance éclairée.

Son titre et ses génériques évoquent des compositions ou des plans que l’on retrouve dans les dessins du Van Buren Institute ou dans les planches de l’étude à New York City. En parallèle, un bâtiment sort de terre – presque allégorique –, comme une synthèse de cette biographie. Et pour accentuer les contrastes d’une existence fragile, le format clin d’œil VistaVision apporte netteté, plan large et grande exposition à l’image du film The Brutalist.

Matières incandescentes
Mais l’architecture et la lumière qui la sculpte ne sont pas que symboles et géométrie. Elles est aussi charnelles et s’expriment à travers leurs matérialités. Nombreuses sont les scènes intimes qui caressent les peaux, le métal, le bois, la pierre. Le moment du choix du marbre dans les carrières de Carrare fait partie de ceux qui laissent une impression rétinienne sans pareille.

Les étincelles du fer forgé qui éclatent sur l’affiche du film font également résonner cette approche sensible. Les matériaux sont au cœur du développement de l’intrigue qui se voit bouleversée, notamment au moment où le train de marchandises déraille. L’expérience se décline donc souvent autour de ce toucher qui devient très intense dans les moments d’intimité que Felicity Jones sublime dans son rôle.


Lumières brutalistes
Enfin, si l’on devait retenir de véritables rencontres avec la lumière, on citerait trois étapes dans cette œuvre. La première concerne l’aménagement de la bibliothèque dont les volets viennent filtrer les rayons du jour. La verrière qui la surplombe rappelle d’ailleurs l’ouvrage Le passeur de lumière de Bernard Tirtiaux. Cette recherche de maîtrise du soleil s’exprime également lors de la présentation de la maquette qui flirte avec le travail de Tadao Ando ou de Louis Kahn. Elle trouve finalement son apothéose dans l’une des scènes finales du film The Brutalist où le centre culturel semble engloutir les personnages. Une issue similaire à celle de L’Aimant, de Lucas Harari, où la nuit apaise les tragédies humaines.

Approfondir le sujet
- Empire of Light de Sam Mendes, rien ne se passe sans lumière
- Megalopolis : quelle est l’emprise du temps sur les hommes ?
- Notre-Dame brûle : architecture, décor et flammes du film

Photo en tête de l’article : The Brutalist, film de Brady Corbet – Directeur de la photographie Lol Crawley – Comédiens Adrien Brody, role de László Toth, et Felicity Jones, femme de architecte © Universal Pictures