Interview

« Le premier contact avec la marque de luxe »

Le premier contact avec une marque de luxe, c’est la vitrine. Mais comment concilier la durabilité avec l’impact commercial ? Interview de Nicolas Martin.

Nicolas Martin est architecte d’intérieur, diplômé de l’école Camondo à Paris en 1998. Il a travaillé pendant une dizaine d’année dans l’agence de design et d’architecture de Sylvain Dubuisson. Puis cinq ans chez Dior Parfums en tant que Visual Merchandiser Monde. C’est ici qu’il a contribué à ouvrir la première boutique entièrement LED du Groupe LVMH, aux Galeries Lafayette à Paris. En 2013, il a rejoint la direction Environnement du groupe, lançant le programme LVMH Lighting avec Christian Galichon, directeur des achats. Objectif : réduire la consommation d’énergie des magasins, sans compromettre la qualité de l’expérience client.

Nicolas Martin, Project lead – portrait © LVMH Gaïa

Il est formateur des architectes et designers du groupe LVMH à l’écoconception des bâtiments, et notamment la conception d’installations d’éclairage LED. Enfin, depuis juin 2024, il est Project lead chez LVMH Gaïa. Mais quel est le rôle de l’éclairage de la vitrine pour l’architecte d’intérieur ? Quelle est sa place le commerce de luxe ? Comment la vitrine devient-elle une fenêtre sur l’intérieur ? Interview passionnante entre professionnels.

Que représente le concept de vitrine pour toi ?

Nicolas Martin : Ce qui est très important pour nous, dans le luxe, c’est que la vitrine est le premier contact avec la marque. Il y a deux temps dans cette découverte : une vision longitudinale lorsqu’on longe le bâtiment et une vision perpendiculaire lorsqu’on s’arrête. D’abord, c’est un peu le rôle de l’enseigne et du logo, d’arrêter de loin. Ensuite, on devra voir quelque chose, de côté, et si on a bien effectué notre travail. La personne s’arrête. Tout se passe à la hauteur des yeux. on n’a plus comme dans les anciennes échoppes, une fenêtre agrandie qu’est la vitrine. Aujourd’hui, dans les vitrines modernes, on a très souvent une vitrine qui va jusqu’au sol. La marque veut maximiser ses chances de rencontrer sa cliente.

Quel est le rôle de la vitrine dans un commerce de luxe ?

Nicolas Martin : Dans mon activité dans le Groupe, la vitrine pose plusieurs défis vis-à-vis de l’environnement. Ce peut être une dépense d’énergie, surtout lorsqu’on ne fait pas attention. C’est le rôle des bons designers, de trouver les moyens techniques qui permettent, d’avoir cette éthique de l’énergie. Savoir éteindre la nuit, de savoir éteindre lorsqu’il y a du soleil. Parce que on ne peut évidemment pas lutter contre le soleil avec quelques spots LED. La vitrine se doit d’être une boite à image qui pourrait se sophistiquer avec des capteurs et minuteries pour montrer notre frugalité heureuse pendant la journée, et à partir de la fermeture de la boutique.

 

Comment la vitrine allumée impacte les ventes ?

Nicolas Martin : C’est bel et bien un mythe de croire qu’une vitrine allumée va faire vendre plus. En fait, aujourd’hui, elle montre plutôt que l’on n’a pas cette précaution vis-à-vis de l’énergie. Dès 2022, nous avons donné ce mot d’ordre aux Maisons du groupe d’éteindre à 22h et de rallumer à 7h du matin dans le monde entier.

L’éclairage est pourtant important dans la vitrine.

Nicolas Martin : On ne peut pas le nier. La manière de réaliser l’éclairage dans la vitrine, c’est vraiment toute une science ! C’est vraiment un travail que de rendre la source invisible. C’est un premier principe qui montre que l’on a fait attention aux yeux de la cliente.

Que joue la profondeur sur l’éclairage d’une vitrine ?

Nicolas Martin : Un point important est d’avoir suffisamment de profondeur. C’est là où vraiment l’architecte ne doit pas oublier le designer lumière. S’il lui laisse trente centimètres, c’est fini ! On ne peut rien faire à part des ombres portées sur le côté… Donc, il est essentiel d’avoir de la profondeur afin de créer un petit théâtre, une histoire. Celles de Dior et de Vuitton sont vraiment merveilleuses. Elles dépassent la présentation du produit.

Premier contact avec la marque de luxe – Vitrine de magasin en verre de Noël 2024, rue Saint Honoré, Paris, France © Parfums Christian Dior

Quel souvenir as-tu de vitrines exemplaires ?

Nicolas Martin : Parmi les vitrines exemplaires, au moment de Noël, ce sont celles des Galeries Lafayette avec les animations. J’ai un souvenir d’enfance de ces vitrines. Et puis aussi le Bon Marché fait de superbes vitrines, à chaque opération, grâce à leur excellent directeur artistique, Frédéric Bodenes.

Que représente les écrans dans la lumière des vitrines ?

Nicolas Martin : Nous sommes des commerçants. On ne peut pas se passer d’une vitrine pour vendre, bien vendre. La chose qui vraiment tue ce travail d’étalagisme, se sont les écrans. Avec un écran, on ne retrouve pas cette poésie que l’on a avec des objets, les matières, une histoire qui peut se raconter dans un petit théâtre. Mettre un écran dans une vitrine, c’est franchement agressif pour la cliente. Surtout à une époque où nous en avons toutes et tous un ? dans la poche…

Comment contribue-t-elle à des expériences complètes ?

Nicolas Martin : Je reviens sur l’analogie avec la fenêtre. Comme nos Maisons travaillent de plus en plus sur des expériences complètes, c’est à dire rajouter salons de thé, restaurants dans les boutiques, ou encore des librairies, la boutique devient plus un lieu de vie qu’un stock de produits à vendre, un magasin. Dans ce cas, la vitrine ne sert plus seulement à montrer le produit. Je pense qu’elle va avoir une tendance à se laisser voir depuis l’intérieur. Ainsi, la vitrine deviendra plus comme une fenêtre. De l’extérieur, on a envie d’aller voir ce qui se passe à l’intérieur, parce que on voit à l’intérieur des gens qui vivent des choses inspirantes. Finalement l’expérience est plus importante que le produit.

Voir l’intérieur du commerce est-il une tendance ?

Nicolas Martin : C’est une tendance, un peu comme dans les pays du nord où ils montrent l’intérieur de la maison. La fenêtre n’a pas de volets et on n’a pas de pudeur à montrer ce qui se passe chez soi. Pourquoi pas travailler comme cela avec l’inspiration des librairies, où l’on voit vraiment l’intérieur ? Pour une boulangerie, une pâtisserie ou un salon de thé, cela donne envie, de se dire « je vais voir ce qui s’y passe ». On ne va pas montrer le produit lui-même tout de suite. Rencontrez-nous d’abord, rencontrez la marque. Donc je pense que cela va aller dans ce sens. On n’a pas le besoin de monter le produit « achètes-moi ça », c’est plutôt « viens chez moi et tu verras les produits au fur et à mesure ».

 

 

 

Comment la vitrine doit se renouveler ?

Nicolas Martin : Un autre intérêt de la vitrine, c’est qu’il faut aussi la changer toutes les 6 semaines afin de montrer de la nouveauté. Bien qu’il ne soit pas toujours nécessaire de montrer le produit, cela peut être justement des histoires ou des images. Par exemple Loewe montre des œuvres d’art ou des inspirations artistiques sans tout de suite pousser un produit de manière trop directe.

C’est le changement qui est important.

Nicolas Martin : Oui, lorsqu’on passe devant, c’est nouveau, c’est chouette. Il faut que ça change chaque mois ou toutes les six semaines, à une certaine fréquence, pour les gens du quartier et celles et ceux qui sont addicts à la marque. Une vitrine trop pérenne montrerait que la marque n’est pas vraiment vivante.

Quel rapport avec le contraste, en éclairage ?

Nicolas Martin : Je reste un grand adepte du contraste, qui est un marqueur du luxe. Le luxe qui théatralise la vie. On n’obtient pas ce contraste si on n’a pas d’éclairages concentrés sur le produit. Il y a quand même quelques maisons qui s’en sortent en faisant un éclairage diffus. Il n’y a pas de contraste de lumière mais cela marche, à cause de l’effet graphique de ce qui est montré. C’est un autre type de contraste.

Le nombre de produit présenté a-t-il de l’importance ?

Nicolas Martin : C’est un autre marqueur du luxe : le nombre de produits. Mettre peu de choses, car elles ont de la valeur. On n’est pas des marchands de légumes. On voit encore cela dans de vielles boutiques de lingerie ou de vêtements pour dames où ils tendent avec des fils de nylon tout ce qu’ils ont, et ça ne fonctionne pas, parce que notre cerveau est abreuvé d’information. On ne peut pas tout lire, on voit une masse diffuse et complexe. Ce mot d’ « étalagiste », c’est vraiment le mot français pour design merchandising, du verbe étaler. Voilà ce qu’il ne faut pas faire !

Comment l’histoire agit-elle sur le produit de luxe ?

Nicolas Martin : Si c’est un produit de luxe, il y en a très peu et il y a une histoire derrière. C’est vraiment l’histoire qui fait notre différence, avec aussi la haute qualité, les détails. Soit c’est le passé et la grande histoire des maisons qui ont, pour certaines, plus de trois siècles d’existence. Soit une histoire dans le sens d’un contenu, d’une chose qui se passe avec les saisons, un dialogue qui se fait avec le produit mis en scène. Le produit fait quelque chose. Il est en action devant les gens.

L’important, c’est bien de faire rêver.

Nicolas Martin : Effectivement, l’important c’est bien de faire rêver. Je pense Isabelle Marant, qui maintenant ne le fait plus, mais il y avait toujours, au moins dans une vitrine un objet en mouvement tout simple. Chaque fois différent, depuis très longtemps et aujourd’hui je ne vois plus. En revanche, je suis passé devant les vitrines Dior où on joue avec la lumière.

Et il y a Jaquemus qui fait toujours des géants, c’est une maison qui vraiment fonctionne fort et bien. Elle est intrigante pour nous parce qu’ils nous dérangent. En ce moment, il y a un énorme sac. Avant, il y avait un énorme fer à repasser, il y avait une cheminée. Voilà, donc cela c’est vraiment la vision de loin, un peu premier degré, mais cela impacte vraiment.

Il y a aussi la malle Vuitton sur les champs Élysées.

Nicolas Martin : Il y a un peu une famille de créations que l’on pourrait appeler « les Géants », cela va toujours créer de la surprise. C’est une astuce bien connue des visual merchandisers.

Merci pour ce partage qui donne un bon aperçu du rôle de la vitrine et de son éclairage dans l’univers du luxe.

 

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Photo en tête de l’article : Premier contact avec la marque de luxe – Vitrine de magasin en verre de Noël 2024, rue Saint Honoré, Paris, France © Parfums Christian Dior

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Dès 1971, ses premières années de vie professionnelle sont dans la pratique de l’éclairage scénique : Kiboutz Contemporary Dance Company, Théâtre de la Ville, Centre Pompidou. En 1981, il accepte le poste d’éclairagiste conseil à la Direction des Musées de France avec des missions de recherche, diffusion et formation. De plus, il met en pratique son expérience en participant à de nombreuses expositions et projets muséographiques. En 2000, il rejoint le Centre de conservation et de restauration où s’ajoutent aux conseils en éclairage l’étude des éléments de surfaces des objets du patrimoine, couleur et texture. Enfin, en 2012, il s’établit comme éclairagiste conseil indépendant. Auteur de nombreuses publications, il est aussi membre de plusieurs associations professionnelles : ICOM, APréVU, AFE, ACE… et expert auprès de l’AFNOR. Promu en 2011 officier de l’Ordre des Arts et des Lettres.
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