Interview

Jean-Paul Haure, scénographe de lumière événementielle

Jean-Paul Haure est scénographe. Comment utilise-t-il la lumière événementielle dans ses créations ? D’où lui vient cette fascination ? Interview exclusive.
23 septembre 2025

Comment as-tu débuté dans la lumière ?

Jean-Paul Haure : J’ai commencé très jeune, passionné de techniques et de lumière à Oloron-Sainte-Marie. On n’avait pas de télé à la maison, j’ai donc inventé ma propre « télé » en bricolant dans la cave avec des cartons. J’ai commencé par installer quelques ampoules colorées que j’ai moi-même bricolées. Mon oncle électricien m’a aidé avec le câblage. Mon père, qui organisait un grand festival folklorique, m’a encouragé à travailler avec les troupes qui y participaient. Même si c’était assez rudimentaire, il s’agissait de mes premiers pas avec l’équipement technique. Ensuite, pendant les vacances, je continuais à travailler en tant que technicien son, lumière dans le Béarn.

Festival international des Pyrénées, édition 2000, danse folklorique, Oloron Sainte-Marie, Nouvelle-Aquitaine, France Scénographe lumière © Scénographie JPHStudio

Quand as-tu décidé d’être scénographe ?

Jean-Paul Haure : Quand j’ai dit que je voulais être scénographe, éclairagiste, il n’y avait pas vraiment d’école, à part celle de la rue Blanche. Quand j’ai passé mon bac, comme par hasard, le premier BTS audiovisuel de France a ouvert à Bayonne. J’étais dans la deuxième promo. Nous avons fait de la peinture et des plâtres. Nous touchions à tout autour de l’image et de l’audiovisuel. Je cherchais des gens qui aimaient un peu la photo et le cinéma aussi.

Pourquoi ce premier BTS audiovisuel a-t-il été ouvert à Bayonne ?

Jean-Paul Haure : Il a été mis en place à Bayonne car c’était l’une des premières villes expérimentales en France entièrement calée en fibre optique. À l’époque, le ministère des Télécommunications avait décidé de créer une école pour la formation en lien avec cette expérimentation. En arrivant, je ne m’attendais pas à ce qu’il y ait un tel niveau. C’était incroyable, j’avais l’impression d’être à « Disneyland » avec tous les projets créatifs proposés, les équipements vidéo et un vrai studio avec un grill lumière comme l’on en rêve !

 

Quand as-tu monté ta première entreprise ?

Jean-Paul Haure : Après avoir travaillé un an dans une société privée qui m’avait embauché à la sortie de mon BTS, j’ai monté ma propre entreprise en 1992, le Groupe Émotion. J’avais 20 ans ; c’est jeune, non ? Moi, j’étais à fond. Je voulais absolument réussir. J’ai toujours eu ça en tête.

Quelle était la mission du Groupe Émotion ?

Jean-Paul Haure : Au début, nous nous occupions principalement de la régie technique des événements. Même si j’avais envie de m’impliquer dans la partie créative, à 20 ans, difficile de dire qu’on est créatif ! C’était donc un peu compliqué. Puis nous avons alterné entre régie, coordination technique puis production d’images et d’événements d’entreprise.

Comment l’activité de l’entreprise a-t-elle évolué ?

Jean-Paul Haure : Nous avons lancé l’entreprise entre Pau et Paris. J’ai commencé à démarcher à Paris, tout en gardant un pied à Pau. Au fil des années, nous l’avons développée. Et puis nous avons commencé à gérer de gros événements qui se produisaient, par exemple, sur la côte basque. À ce moment-là, nous offrions un support technique local, tout en étant basés dans la capitale pour la préparation.

J’étais super motivé et j’ai commencé à rechercher des choses et une clientèle plus exceptionnelle, comme pour le sommet des chefs d’états France-Afrique de 1994 à Biarritz pour lequel, nous avons été la première entreprise privée à assurer les prestations de télédiffusion hôte pour le compte de l’état. Au fil des rencontres, des références et de la réputation acquise, tous les deux ans, nous doublions nos objectifs et notre chiffre d’affaires.

 

 

Pourquoi étais-tu fasciné par la lumière ?

Jean-Paul Haure : C’est un truc difficile à expliquer. La lumière m’a toujours suivi. Ça reste mon médium. Il y a l’attachement à la partie viscérale, à la lumière matière, mais il y a aussi la partie philosophique, il y a les mots et toutes ces choses-là. C’est dur de définir la lumière. C’est un regard, c’est une sensibilité.

Je pense que ce qui m’a vraiment beaucoup aidé, c’est que mon père organisait le Festival international des Pyrénées qui se déroulait, une année sur deux, soit à Oloron-Sainte-Marie, soit à Jaca, en Espagne. J’ai pu y découvrir des cultures, des danses et des coutumes et surtout, des costumes incroyables.

C’était un festival énorme. Il a duré 35 ans avec plus de 1 200 artistes par an, venant de 30 pays différents lors de chaque édition. Au fil du temps un relationnel mondial et universel s’est créée autour de lui, de son charisme et de sa passion, il a ramené le monde entier ici, sans jamais quitter son pays natal. J’ai traîné dans les coulisses dès mon plus jeune âge. J’aime aussi la mode, les tissus, tous ces univers… emplis de beauté, de raffinement, d’art et d’artisanat.

Quel rôle le nuancier Lee Filters a-t-il joué ?

Jean-Paul Haure : J’ai commencé enfant à me confronter avec le nuancier de filtres de gélatines. Avec une lampe torche Maglite, j’ai essayé d’éclairer les choses différemment, pas juste en blanc, de le faire sans déformation des couleurs, ce qui crée un effet particulier. Comme je dis, « le soir, il y a des enfants qui lisent des contes, mais moi, je lisais et relisait le nuancier Lee Filters sans oublier les magazines AS, Actualité de la scénographie, et Sono Mag ».

Nuancié Lee Colour – catalogue de filtre de gélatines © Thomann France

Dans ma chambre, je collais les images découpées et transformais tout à travers le faisceau de la lampe torche et l’échantillon du nuancier. Voilà, c’est inexplicable. C’est vraiment surprenant car, ça développe l’imaginaire.

Quand les premières projections d’images sont-elles arrivées ?

Jean-Paul Haure  : autour de 1984, il y a eu une grande accélération dans le domaine du spectacle, avec les premières projections d’images : les Pani, les PAE qui ouvraient une dimension visuelle aux scénographies, prélude à l’arrivée de la vidéo quelques décennies plus tard.  J’étais vraiment passionné. Je lisais tout, je découpais, je classais et je créais mes cahiers d’inspiration… sans oublier les posters de Contre-jour (PAE) qui ornaient les murs de la chambre. C’était quelque chose de très fort et de viscéral pour moi.

Quel est le projet dont tu es le plus fier dans le Béarn ?

Jean-Paul Haure : Chacun a une histoire. C’est toujours une rencontre. Il y a un événement qui est toujours dans ma mémoire, c’est un des premiers son et lumière installé en fixe. Nous l’avons installé en 1995 en éclairant une charpente de l’église Saint-Girons de Monein dans le Béarn. Elle est conçue comme une coque de bateau en berceau.

Mise en lumière de la charpente, église Saint-Girons de Monein, Béarn, France – Scénographie lumière Jean-Paul Haure © Myrabella, Wikimedia Commons, CC BY-SA 3.0 et GFDL

Le spectacle de l’époque tournait en boucle. Cela m’avait marqué parce que nous avions fait des choses extrêmement simples, en jouant seulement avec la gradation de la lumière. Nous avons manipulé la perception en jouant sur la coloration. Ça touchait aussi un peu la physique de calculer toutes ces choses-là. C’est ainsi que j’ai éclairé ce vaisseau de lumière.

Quelle ambiance as-tu créée à l’Orangerie de Versailles ?

Jean-Paul Haure : À Versailles, nous avons utilisé l’Orangerie pour une soirée. J’avais pris le contre-pied en jouant avec la lumière artificielle pour créer une ambiance différente. Normalement, ces espaces sont utilisés de manière plus traditionnelle. J’ai proposé d’éliminer les éclairages intérieurs et de laisser entrer la lumière uniquement par les fenêtres de l’Orangerie. Cela créait une atmosphère cinématographique, avec des changements de couleur et une mise en scène parfaite.

Comment as-tu utilisé les bougies en Afrique ?

Jean-Paul Haure : Une autre expérience m’a beaucoup marqué en Afrique, pour un événement privé. J’ai organisé la soirée de fin de deuil d’un membre de la famille en utilisant 95 % de bougies pour l’éclairage. Nous en avions installé 15 000 bougies, pots-torches et autres lustres de flammes conçus pour l’occasion, ce qui a donné une ambiance unique.

Bougie © Marc Liottin

J’ai joué avec les traditions africaines en prenant le postulat que la défunte était toujours présente, telle une flamme vive et permanente au cœur de chacun. Donc, nous avons fait le choix de quasiment tout éclairer à la bougie en complément de projections vidéo et de sphères vidéo implantés au long des chemins empruntés par les invités. C’était très marquant, très émouvant. Revenir à l’essence de la lumière, la flamme, la bougie pour rendre hommage à la Lumière, celle qui accompagne dans nos cœurs, ceux qui y sont partis. La lumière est essentielle tant aux yeux qu’à l’âme.

Comment la lumière t’a-t-elle aidé à surmonter ton accident auditif ?

Jean-Paul Haure : Ça a été un gros bouleversement dans ma vie en 1998, à l’aube de mes 30 ans. Je me suis toujours accroché à la lumière, je n’ai jamais voulu lâcher. C’est ma vie, c’est ainsi. Les premiers médecins m’ont dit d’arrêter, mais je ne voulais pas. Même si c’était dur, au contraire, je me suis lancé à fond. J’ai d’abord dû me soigner au fil de nombreuses rechutes. Il m’a fallu 10 ans pour vraiment remonter la pente et recommencer à travailler tout en ayant réappris les mots, la lecture labiale et la débrouillardise inhérente au handicap. Cette épreuve de vie m’a permis et me permet de me concentrer pleinement à mon imaginaire et à mes créations.

 

Face à ce handicap soudain, France Télévisions t’a tout de même contacté pour le Téléthon. Comment cela se fait-il ?

Jean-Paul Haure : Même si la communication était plus difficile qu’avant, j’ai pu retisser peu à peu des liens avec des contacts, des clients de ma vie précédente (Nuit des étoiles, Télématin…). Au fil des nouvelles rencontres, France Télévisions m’a rappelé pour me proposer la direction photo du Téléthon sur les émissions complémentaires au plateau principal.

Téléthon 2014 avec arbres ballons lumineux colorés, Champ-de-Mars, Paris, France – Directeur de la photo Jean-Paul Haure © Scénographie JPHStudio

En utilisant et en imaginant des décors de lumière simple, nous avons réalisé des opérations exceptionnelles. Même si le Téléthon est une énorme machine de production, cela reste une opération caritative avant tout, donc il fallait être créatif avec un budget minimal. J’y ai travaillé durant quatre éditions.

Quels sont tes plus beaux souvenirs de scénographe en lumière ?

Jean-Paul Haure : Je me rappelle avoir éclairé les quais de Seine pour le Téléthon, bien avant les J.O., en 1993. C’était un projet un peu fou ! J’ai décidé de ne pas utiliser d’échafaudages. Du musée d’Orsay jusqu’à la grande roue de la Concorde, j’ai voulu garder le décor patrimonial existant.

Téléthon 2013 avec ballons lumineux, Passerelle Léopold-Sédar-Senghor, Paris, France – Directeur de la photo Jean-Paul Haure © Scénographie JPHStudio

Pour ça, j’ai choisi de n’utiliser que des ballons lumineux sur 1,7 kilomètres. Je voulais une ambiance graphique, esthétique et originale. Quand les caméras filmaient, la lumière était douce, ce qui n’était pas, forcément, courant à l’époque. C’est resté un très beau souvenir.

 

 

Quel autre rêve as-tu réalisé avec des ballons lumineux ?

Jean-Paul Haure : En 2000, pour le festival organisé par mon père, il y avait une grande parade de 2 kilomètres avec des milliers de spectateurs. C’était un parcours nocturne. J’ai toujours voulu que la lumière avance avec les artistes. À l’époque, nous n’étions pas encore à la LED, alors nous avons utilisé des ballons Airstar. Ils se mettaient en mouvement avec les artistes.

Dessin de Jean-Paul Haure, ballon lumineux les éclaireurs, Parade 2000 Festival international des Pyrénées, Oloron Sainte-Marie, France -Scénographe lumière © Scénographie JPHStudio

J’ai dessiné des personnages appelés « les éclaireurs », avec des sacs à dos contenant les alimentations et les systèmes de refroidissement, chaque sphère s’élevait au-dessus du porteur du ballon lumineux qu’il dirigeait par des poignées de deltaplane. C’est un autre souvenir marquant. Un rêve que j’ai réalisé.

Ballon lumineux les éclaireurs, Parade 2000 du Festival international des Pyrénées, Oloron Sainte-Marie, Nouvelle-Aquitaine, France – Scénographe lumière © Scénographie JPHStudio

Comment la lumière évoluait-elle par continent, dans ce défilé nocturne ?

Jean-Paul Haure : J’ai mis 50 ballons avec des danseuses en dessous pour l’esthétique. Chaque continent avait des ballons adaptés à sa lumière.

Dessin de Jean-Paul Haure, ensemble de ballons lumineux, Parade 2000 Festival international des Pyrénées, Oloron Sainte-Marie, France – Scénographe lumière © Scénographie JPHStudio

Par exemple, pour l’Afrique, nous avions utilisé de gros ballons pour évoquer le soleil. Pour l’Europe de l’Est, des plus petits avec une approche symétrique. Tout cela nécessitait de faire avancer l’énergie avec des groupes électrogènes par continent. Et quand on voyait ces lumières au bout de la rue, c’était tout simplement magique !

Propos recueillis à Barcelone pendant l’ISE 2025 par Vincent Laganier, le 6 février 2025.

À suivre…

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Photo en tête de l’article : Jean-Paul Haure, scénographe de lumière événementielle © Laurent Pascal 050424 – JPHStudio

Équipe du projet

Scénographe Jean-Paul Haure
Fondateur de l'agence de relations publiques LZL Services depuis 2023. Son thème : la lumière et l’éclairage. Rédacteur en chef et éditeur du portail français n°1 Light ZOOM Lumière depuis 2012. Architecte diplômé de l’École nationale supérieure d’architecture de Nantes. Éclairagiste urbain de 1997 à 2013 en Europe. Auteur de huit ouvrages de référence sur la ville, le bâtiment et le millénaire. Enseignant sur l'histoire de la conception lumière à l’ENSA Nantes et à l'éclairage dans l'art contemporain à l’ENSATT Lyon.
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