« Illuminez-vous ! » Jean-Luc Leguay
Qu’est-ce que la lumière pour toi ?
Jean-Luc Leguay : Comme l’obscurité : c’est la vie. Il y a une hiérarchie dans les sens : littéral, allégorique et moral. Quand tu confrontes ton sens allégorique à la Grande Lumière, il y a l’anagogique. Là, il n’y a plus de possibilité de symbolique ; c’est l’indicible. Voilà pourquoi la nuit est supérieure au jour, car elle est le lieu de toutes les possibilités.

Quelle a été ta première émotion avec la lumière ?
J.-L. Leguay : Curieusement, j’ai toujours été fasciné par le noir. Si bien qu’à l’école que j’ai créée en 2018 (Centre international des traditions de l’image de lumière), j’enseigne le retrait de la lumière du monde vers cet indicible. Pour moi, la lumière a toujours été une échelle, une ascension.

Quel est ton sentiment de lumière préféré ?
J.-L. Leguay : L’éblouissement total d’un coup. Paf ! Dans les cathédrales, au moment où tu sors, il y a une rosace. Pourquoi est-elle là ? C’est pour dire à l’être humain que, quand il va mourir, il verra sa vie défiler. Cette fulgurance, tu la vois comme la dernière étincelle de ton cerveau. Toute ta vie, comme une rosace de lumière.

Quelle œuvre trouves-tu particulièrement aboutie ?
J.-L. Leguay : Toutes les œuvres qui parlent d’ombre et de lumière me parlent. Tu regardes une cathédrale, un temple, la sculpture d’un Bouddha, Rembrandt, Van Gogh, les enluminures du Livre de Kells, les apocalypses, les Beatus des Xe et XIe siècles espagnols…

Quelle personnalité associée à la lumière est la plus inspirante pour toi ?
J.-L. Leguay : Chez mon père, il y avait des films en seize millimètres, des actualités, des plus anciennes jusqu’à Andreï Roublev de Tarkovski… Je me souviens aussi que ma grand-mère jouait à La Victorine de Nice, et moi j’étais dans les décors de ce monde incroyable.

Quel est ton objet lumineux préféré ?
J.-L. Leguay : Je peux dire celui que je n’aime pas ? C’est mon abat-jour qui est troué. Parce qu’il est trop vieux et que je n’ai pas le temps de le changer. Au lieu de me masquer la source de la lumière, à chaque fois, cela m’éblouit et je ne supporte pas.

Quel est le livre le plus mémorable, selon toi ?
J.-L. Leguay : Je suis allé dans la Biblioteca Reale de Turin pour demander des manuscrits enluminés. En les ouvrant, cela a été comme un tremblement de terre. Je me suis dit « le gars qui a fait ça, c’est un illuminé ; si je trouve un maître enlumineur, j’abandonne tout ».

Comment utilises-tu l’éclairage dans l’enluminure ?
J.-L. Leguay : Quand on fait une enluminure, on pose l’or (lumière en hébreu) en premier, car c’est la lumière unique, celle du principe. Et après, elle va se réfracter comme dans un diamant pour révéler toute la lumière cachée dans la nature : la vie.

Qu’est-ce qui est singulier dans ton approche de la lumière ?
J.-L. Leguay : Le plus dur n’est pas de peindre, mais d’atteindre un certain état pour devenir le miroir le plus limpide et pour refléter la lumière de l’inexprimable.

Comment aimerais-tu que la lumière artificielle évolue dans l’avenir ?
J.-L. Leguay : La lumière artificielle est le reflet de la lumière de la nature. Elle est porteuse de rêve, de nostalgie, d’un monde perdu. La lumière extérieure révèle notre lumière intérieure.

Approfondir le sujet
- Site officiel de Jean-Luc Leguay, Heraclius
- Église Saint-Symphorien : la « cathédrale de la Puisaye » en lumière
- Revoir van Eyck au musée du Louvre
- Palais des Ducs de Bourgogne mis en lumière à Dijon
Photo en tête de l’interview : Jean-Luc-Leguay, metteur en scène, scénographe, danseur, maître enlumineur, réalisateur, animateur 3D – portrait © Heraclius
Livres
Vivre la sobriété en éclairage, traduit par Maxime Brunois
![]() |
Qu’est-ce que la lumière vivante ? En architecture et habitat, Gerard Auer en donne une explication dans Vivre la sobriété en éclairage. |
Ambivalences de la lumière
![]() |
Sous la direction de Charlotte Beaufort et de Marylène Lebrère, actes du colloque interdisciplinaire et international, ambivalences de la lumière. |
Une lumière au coeur de la nuit : le lustre, de l’intime à la scène, Georges Banu
![]() |
Le lustre, de l’intime à la scène. C'est le sujet du dernier livre de l'homme de théâtre et écrivain, Georges Banu. Une lumière au cœur de la nuit. |