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Prix Nobel 2023 pour des impulsions laser très courtes

Anne L’Huillier, Pierre Agostini et Ferenc Krausz lauréats du prix Nobel 2023 de physique. Quelle découverte autour des impulsions laser ?
10 octobre 2023

Anne L’Huillier, Pierre Agostini et Ferenc Krausz sont les nouveaux lauréats du prix Nobel de physique 2023. Anne L’Huillier est une femme. Précision saugrenue ? Malheureusement non. Elles ne sont que quatre à avoir auparavant obtenu le prestigieux prix. La liste est tellement courte que l’on peut la donner de manière exhaustive :

  • Marie Curie (1903),
  • Maria Goeppert Mayer (1963),
  • Donna Strickland (2018),
  • Andrea Ghez (2020).

Un léger mieux depuis 2018, c’est vrai, mais le ratio de trois femmes pour quinze hommes parmi les lauréats reste ridiculement faible.

Côté français, après Gérard Mourou en 2018 et Alain Aspect en 2022, les prix attribués cette année à Anne L’Huillier et Pierre Agostini offrent à la physique un palmarès comparable – bien que moins médiatisé – à celui de l’équipe nationale de rugby sur la même période. Avec un total de 17 lauréats français en physique, la discipline dépasse même la littérature (16 lauréats), qui est pourtant une spécialité nationale reconnue.

Prix Nobel 2023, retour des Français

Sur les réseaux sociaux, les cocoricos se sont parfois faits injustement acides. Les deux Français sont actuellement installés à l’étranger et y ont passé une partie de leur carrière. À l’université de Lund en Suède pour Anne L’Huillier, à l’université de l’Ohio aux USA pour Pierre Agostini.

Pierre Agostini, Ferenc Krausz et Anne L’Huillier – Prix Nobel 2023 de Physique – Dessin des portraits Ill. Niklas Elmehed © Nobel Prize Outreach

Certains y voient le symbole de l’universalité de la recherche et une marque de l’excellence de la formation des universités françaises dans ces domaines. D’autres soulignent au contraire l’incapacité de la France à retenir ses chercheurs les plus talentueux. À ce titre, les griefs des universitaires français sont nombreux : manque de reconnaissance du pouvoir politique et économique, faiblesse des investissements en recherche, rareté des recrutements, lourdeur administrative… Ce débat est légitime, mais à contretemps, car sans rapport avec les choix individuels de carrière des deux lauréats français.

Des électrons surpris par la lumière

Les travaux d’Anne L’Huillier et de Pierre Agostini sont très différents de ceux de leurs prédécesseurs et compatriotes Gérard Mourou et Alain Aspect. Pourtant, il y est toujours question de photons et de laser, cette source de lumière aux propriétés particulières qui va envahir les laboratoires de recherche dès les années 1960.

Sur le site du comité Nobel, un court document de cinq pages tente une vulgarisation des travaux récompensés pour le grand public. La première illustration est étrange : deux bonshommes de forme sphérique semblent être surpris par le faisceau lumineux d’un projecteur.

Prix Nobel 2023 pour des impulsions laser très courtes – Anne L’Huillier, Pierre Agostini et Ferenc Krausz – Des électrons surpris par la lumière © Johan Jarnestad, The Royal Swedish Academy of Sciences

S’ils avaient été colorés, on les aurait volontiers confondus avec les personnages d’une publicité pour une célèbre marque de bonbons chocolatés. À la forme de leurs oreilles en « e », les physiciens les identifient comme étant des électrons. Et le faisceau de lumière est probablement une impulsion laser, suffisamment courte pour figer le mouvement ultrarapide des électrons.

Attoseconde, le temps de pose pour photographier les électrons

Sur les toutes premières photographies de paysages urbains au XIXe siècle, les rues semblent étrangement désertes. Les temps de pose de plusieurs minutes sont beaucoup trop longs pour capter le fourmillement des passants, rendus ainsi invisibles. De la même manière, jusqu’à la fin du XXe siècle, les durées des impulsions laser étaient trop longues pour permettre d’enregistrer le mouvement des électrons au sein des atomes ou des molécules. La durée nécessaire est de l’ordre de l’attoseconde, un milliardième de milliardième de seconde, ou en écriture scientifique 10-18 seconde. Pour appréhender un tel ordre de grandeur, le comité Nobel propose cette mise en abîme : il y a autant d’attosecondes dans une seconde que de secondes écoulées depuis l’origine de l’Univers.

Vitesse du mouvement des atomes, du battement de cœur et l’âge de l’Univers © Johan Jarnestad, The Royal Swedish Academy of Sciences

La longue quête des impulsions laser ultracourtes

Comment les chercheurs sont-ils parvenus à obtenir des impulsions aussi courtes ? La première étape a été à la fin des années 1980, avec la génération de fortes harmoniques en excitant un gaz rare par un laser infrarouge ultrapuissant. Le spectre en fréquence présente une caractéristique inattendue : un plateau élevé sur une large gamme d’harmoniques.

Exemple d’allure de spectre de génération de fortes harmoniques © The Royal Swedish Academy of Sciences

La compréhension de la cause de ce plateau et l’exploitation de celui-ci ont permis, après plus de 10 ans de recherche, d’aboutir aux premières impulsions laser de quelques centaines d’attosecondes.

Soyons francs, on atteint ici les limites de la vulgarisation scientifique. Le document grand public du comité Nobel définit la notion d’harmoniques de la lumière par analogie à celles que l’on peut entendre quand on appuie sur une corde de guitare. Mais c’est ensuite un schéma sur les « modèles d’interactions de la lumière laser avec des atomes dans un gaz » qui est affiché. Incompréhensible pour le commun des mortels, on est bien loin des électrons représentés avec des bras et des jambes…

Multiples contributions des trois lauréats

Pour saisir davantage le domaine de recherche récompensé, le comité Nobel fournit également un document scientifique de 10 pages, synthèse bibliographique destinée à un public averti. À la lecture de ce document, on est d’abord frappé par la forte complémentarité entre expériences et simulations. La modélisation des mécanismes en jeu a été indispensable pour comprendre les phénomènes observés et ensuite les exploiter pour produire les flashs lumineux ultracourts.

Un autre point marquant est le nombre de chercheurs et d’équipes dont les contributions ont été décisives sur cette thématique. Le prix Nobel est une récompense individuelle, et en ne distinguant que trois physiciens, il ne reflète pas l’aspect à la fois collectif et compétitif inhérent à la recherche actuelle. Si les contributions des trois lauréats sont multiples, il est tentant d’attribuer à Anne L’Huillier la découverte du processus qui a permis de produire des impulsions laser attoseconde, et à Pierre Agostini la façon de mesurer précisément leur durée. Quant à Ferenc Krausz, il est le premier en 2001 à avoir produit une pulsation laser isolée de 650 attosecondes.

Faute de pouvoir en quantifier la durée, les physiciens ont longtemps supposé que l’émission d’un électron suite à une excitation lumineuse était instantanée. Les travaux fondamentaux récompensés cette année par le prix Nobel de physique permettent d’estimer à quelques dizaines d’attosecondes le temps pour un électron de quitter l’orbite atomique sur laquelle il se situait. Peut-être que prochainement dans les laboratoires, de tels mouvements d’électrons s’observeront en slow motion.

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Équipe du projet

Lauréats du Prix Nobel Anne L’Huillier Pierre Agostini Ferenc Krausz

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