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Lighting Design Forum 2015 à Singapour

Carnet de voyage de Roger Narboni à Singapour. De la planification lumière aux impressions de la ville-état. Une éloge pour Kaoru Mende.
8 décembre 2015

Des lumières posées sur l’océan, ou plutôt des lanternes, des milliers de lanternes qui étoilent la mer et enserrent l’île de Singapour pour compenser les étoiles invisibles dans le ciel, à cause de la pollution et des fumées en provenance des forêts incendiées de l’Indonésie voisine.

Gardens by the Bay © Roger Narboni
Gardens by the Bay © Roger Narboni
Des centaines de bateaux stationnent sur l'océan © Roger Narboni
Des centaines de bateaux stationnent sur l’océan © Roger Narboni

C’est l’image choc qui vous interpelle quand vous arrivez de nuit par avion à Singapour. Et puis, avec la descente progressive vers l’aéroport, vous comprenez peu à peu que ces « étoiles » sont en fait des milliers de bateaux illuminés, immobiles, attendant leur tour, qui se sont agglutinés tout autour du plus grand port industriel et marchand du monde. Il se dispute chaque année la première place avec le port de Shanghai.

Un skyline qui s'évanouit dans le ciel pollué © Roger Narboni
Un skyline qui s’évanouit dans le ciel pollué © Roger Narboni

Le gigantisme et le chaos visuel semblent faire parties intégrantes de Singapour. Cette toute petite ville-état, de 714 km² dont 20% gagnés sur la mer et d’environ 6 millions d’habitants, très densément urbanisée – 2e rang mondial et densité la plus élevée d’Asie – propose néanmoins grâce à son climat équatorial une végétation luxuriante en plein centre-ville qui lui a valu le surnom de « Ville jardin ».

Une ville faite de collages visuels © Roger Narboni
Une ville faite de collages visuels © Roger Narboni
Temple et architectures modernes © Roger Narboni
Temple et architectures modernes © Roger Narboni

Lighting Design Forum 2015

Le thème du deuxième Lighting Design Forum « Illuminer notre paysage patrimonial », organisé le 12 novembre dernier par Roberto Baggio de la compagnie TFO, était donc tout à fait en adéquation avec les particularités et les questionnements actuels de Singapour. Le dialogue croisé que j’ai pu avoir sur ce thème avec Kaoru Mende, concepteur lumière japonais, directeur de Lighting Planners Associates, qui a une agence à Singapour et qui a dirigé le Plan lumière du front de mer en 2005, a été particulièrement intéressant.

Les chemins ombrés de Gardens by the Bay © Roger Narboni
Les chemins ombrés de Gardens by the Bay © Roger Narboni

Ce plan lumière succédait, dix ans après, au premier plan lumière du centre-ville administratif de Singapour conçu alors par Louis Clair de l’agence Light Cibles, qui a aussi créé une agence à Singapour dirigée actuellement par son fils Emmanuel, présent au Forum pour partager ses expériences de concepteur lumière à Singapour.

La seule rue piétonne de Singapour © Roger Narboni
La seule rue piétonne de Singapour © Roger Narboni

Cette deuxième édition du Forum, qui a l’ambition d’essaimer en Thaïlande et en Chine pour créer un contrepoids à PLDC, actuellement centré sur l’Europe, a permis de rassembler de nombreux concepteurs lumière singapouriens mais aussi venus des Philippines, d’Indonésie et de Malaisie.

Nightscape 2050 de Kaoru Mende

Au même moment, Kaoru Mende proposait au National Design Centre de Singapour son exposition itinérante intitulée « Nightscape 2050 », créée à Berlin et qui voyagera ensuite à Hong Kong et Tokyo. Cette exposition souhaite établir un dialogue et explorer les possibles interactions dans le futur entre la lumière, les gens et les villes. Elle propose une vision personnelle et forcément subjective de la lumière urbaine de demain et retrace aussi de manière passionnante l’évolution du paysage nocturne de Singapour de 1800 jusqu’à 2050.

Nightscapes 2050 © Roger Narboni
Nightscapes 2050 © Roger Narboni

Ville jardin multiculturelle

Ce qui frappe à Singapour, c’est le mélange incroyable des langues – anglais, chinois, malais, tamoul – et des religions – chinois chrétiens ou bouddhistes, indiens musulmans, hindouistes… –  même si les chinois dominent largement la population de Singapour avec près de 70%. La ville offre aussi un grand quartier à dominante indienne « Little India » et un quartier ultra-moderne de tours de bureaux qui surplombent et côtoient des petits temples colorés de toutes obédiences.

Intérieur d'un temple chinois bouddhiste © Roger Narboni
Intérieur d’un temple chinois bouddhiste © Roger Narboni
Intérieur d'un temple chinois bouddhiste © Roger Narboni
Intérieur d’un temple chinois bouddhiste © Roger Narboni

Ce mélange des genres, architecturaux, ethniques et religieux, donne du charme à la ville et ouvre des pistes intéressantes pour l’évolution possible de la mise en lumière du patrimoine historique, qui est aujourd’hui peu valorisé la nuit. Les éclairages des tours, des hôtels et des centres commerciaux dominent l’image et le paysage nocturne urbain qui s’enrichit régulièrement des décorations lumineuses liées au Ramadan, à la fête hindouiste Diwali ou au Noël chrétien.

Little India lors du festival Diwali © Roger Narboni
Little India lors du festival Diwali © Roger Narboni

Eclairage nocturne de Singapour

L’espace public, peu dédié aux piétons, pas vraiment accueillis ou désirés dans cette ville tentaculaire, est conçu en fonction du règne automobile, offre un contraste nocturne saisissant par la pauvreté criante des ambiances lumineuses qu’il propose. L’éclairage piétonnier est en effet inexistant et les ambiances nocturnes baignées par la lumière orangée du sodium n’encouragent guère à la déambulation, à la découverte ou à la pause. D’où la surprise quand l’on découvre au détour d’une rue, disposée dans un square ouvert, une grande tente colorée et brillamment illuminée qui propose aux proches et aux riverains de rendre hommage en pleine rue à un être cher décédé et de festoyer à côté du corps exposé.

Une tente d'accueil funéraire © Roger Narboni
Une tente d’accueil funéraire © Roger Narboni

La chaleur, la moiteur et l’indolence règnent donc à Singapour et l’insécurité ne semble pas y exister. Mais cet état est hélas aussi connu pour sa politique autoritaire voire dictatoriale qui laisse peu de place au dialogue social, qui a établi des quotas ethniques draconiens dans les quartiers d’habitat sociaux et qui par contre vous accueille à bras ouvert si vous être très riche et si vous souhaitez investir sur place.

Dans les faits, un seul parti domine la politique singapourienne depuis l’indépendance en 1965. En cinquante ans, seulement trois premiers ministres, tous membres de ce même parti, se sont succédés. Et le président précédent a été « élu » sans vote car il n’y avait pas d’autres candidats compte tenu des critères mis en place par le gouvernement.

Illumination de Gardens by the Bay © Roger Narboni
Illumination de Gardens by the Bay © Roger Narboni

Pour se reposer du tohubohu général, s’évader de ces contradictions criantes et profiter de la fraîcheur et de la pénombre, il faut alors se diriger vers la côte pour visiter « Gardens by the Bay », l’un des plus beau parc botanique du monde, ouvert au public en octobre 2011, et merveilleusement illuminé par l’équipe de Kaoru Mende. Il a su y démontrer son talent, sa maîtrise des couleurs, son amour de la douceur nocturne et des ombres qui rendent hommage au célèbre livre de Junichiro Tanizaki.

Lieu

  • Singapour

Équipe du projet

Organisateur d'événement Roberto Baggio TFO
Concepteur lumière Kaoru Mende Lighting Planners Associates Louis Clair Light Cibles Emmanuel Clair

Équipe artistique

Ecrivain Junichiro Tanizaki

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Concepteur lumière, directeur fondateur de l’agence Concepto en 1988, et président depuis 2018. Roger Narboni est l’inventeur de l’urbanisme lumière, des Schémas directeurs d’aménagement lumière et l’initiateur, depuis 2011, de la méthodologie des trames noires. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages de référence sur les techniques de la conception lumière urbaine, dans le paysage et en architecture. Ses centres d’intérêt sont la ville nocturne, les voyages, les cultures locales, la science-fiction et les recherches prospectives.
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