
Intelligence artificielle générative et images lumière
Quand as-tu découvert l’intelligence artificielle pour la première fois ?
Jean-Paul Haure : C’est grâce à mon fils Sadry. C’était sur la plateforme Discord en 2022. Nous avons découvert la génération d’images avec l’intelligence artificielle. C’était un peu bizarre au début ; nous en avons parlé, et comme tout le monde, nous avons commencé à créer une image avec MidJourney. Bon… nous pouvions toujours faire mieux ! Je pense que ça a démarré avec la V2 de Midjourney.

Quand la qualité d’image a-t-elle gagné en performance avec l’IA ?
Jean-Paul Haure : à partir de la V3 de Midjourney, ça a commencé à vraiment prendre de la puissance. C’était étonnant ! Je me suis demandé : qu’est-ce qu’on fait avec ça ? Créer une image pour créer une image, d’accord, mais ça ne s’arrête pas là. Nous avons vu des gens interpréter Van Gogh, Gaudi… tout ça, ça marche. Puis j’ai lu un article dans Le Monde où quelques chercheurs expliquaient que, pour ceux qui aiment écrire ou qui ont un imaginaire riche, cela pouvait être un vrai bonheur. Là, ça a fait tilt ! Surtout avec cette notion de mots derrière l’image.

Comment l’IA se lie-t-elle avec la lumière et les mots ?
Jean-Paul Haure : En fait, j’aime écrire la lumière bien avant de la tracer ou de l’implanter. L’idée est de mettre des mots sur la lumière avant de la « créer ». La lumière, ce n’est pas qu’une question technique ! C’est un langage, une sensibilité et je réalise que le lien peut se faire entre mes mots, mon univers et l’image à travers ce nouveau médium.

Le premier pas, ça a été de prendre un texte avec un imaginaire fort, très visuel et de lancer la génération d’une image. Comme l’IA pouvait-elle comprendre ses mots, quelle en serait son interpération, nous allions voir ce qu’elle allait me sortir. Elle a créé quelque chose qui était intéressant très en lien avec le texte proposé et le choix des mots. Ça m’a fait réfléchir. Je me suis dit OK, c’est ça qu’il faut ! Nous devons avancer là-dessus.
Pourquoi as-tu décidé de faire de l’IA un outil quotidien ?
Jean-Paul Haure : Je lis beaucoup de revues. Je suis abonné à plein de choses. Depuis longtemps, je découpe et je colle pour m’inspirer. Tout ce que j’écris et j’imagine, c’est pour moi. Partager sur Internet, c’est une autre histoire. L’IA n’est pas embêtante, juste franche parfois dans ses propositions, mais sans filtre humain. C’est très intéressant.

Alors j’ai décidé de prendre un abonnement professionnel et de fermer le tuyau de l’IA pour ne pas publier en public ce que je créé avec elle. Pour avant tout, essaiyer d’abord de comprendre comment cela fonctionne, comme lui parler de lumière, comme lui apprendre des effets ou des rendus tout en complétant mon travail quotidien. Aujourd’hui encore, je reste souvent étonné par tout ça et ce qu’il en sort parfois !

Quel usage fais-tu de l’intelligence artificielle aujourd’hui ?
Jean-Paul Haure : Le but principal, c’est d’alimenter mon imaginaire. Ça peut vraiment créer un tableau personnel d’esthétiques, de photos ou d’inspirations comme sur Pinterest ! C’est un outil extraordinaire, car on peut vite nourrir notre créativité.

Je ne dis pas que tout est génial, mais il faut tester, relancer, modifier… Il y a des images que je ne montrerai jamais et que je n’utiliserai pas; elles peuvent être un palier vers d’autres projets ou d’autres idées.

Photothèque, portfolio d’imaginaires et de rêveries, vidéothèque imaginaire des plus incroyables et aussi l’accès à vrai méga dictionnaire !

Comment utilises-tu la poésie avec l’IA ?
Jean-Paul Haure : Depuis quelques semaines, je crée des images à partir de poèmes, de poésies et de vers choisis au fil de mes envies et émotions du moment. Je prends ces éléments et, par exemple, je vais les retraduire en scénographie et en décors.

Je construis un point de vue scénographique autour de ça, et ça me fait réfléchir tout en respectant la lisibilité du spectateur et la faisabilité technique. Je crois qu’il y a un vrai plaisir à lire, à imaginer et à écrire. C’est trop bien !
Régulièrement, tu partages des images génératives sur LinkedIn…
Jean-Paul Haure : Aujourd’hui, c’est ce qui nous permet de nous rencontrer ! Ces posts sur LinkedIn avec des images générées par l’IA, ça m’a un peu désinhibé ! Ça touche à mon handicap. Il y avait toujours cette partie de moi qui n’osait pas montrer mon travail. Il y a souvent eu des clauses de confidentialité et une forme de réticence sur mes projets. Créer des univers qui ne correspondent pas à une commande client, mais à mon imaginaire, ça a ouvert beaucoup de portes.

Comment as-tu été reçu sur l’ISE 2025 ?
Jean-Paul Haure : Sur les stands du salon ISE 2025, je me suis fait interpeller par des gens (ou followers) qui me disaient : « Mais, c’est vous…? C’est super ce que vous faites ! » J’ai échangé avec des gens qui me disaient : « Mais la légende qui est en dessous, si on la lit, une autre approche de l’image se révèle. » Et cela me fait plaisir, et me touche car à la fin, tout est une affaire de mots. Tout le monde m’a dit que c’était une réelle bouffée d’air frais. Maintenant, ce qui m’importe encore plus, ce sont les commentaires sur mes textes. Ça me fait vraiment plaisir, toute cette histoire d’amour. Voilà, c’est ça la vie aussi ; ce n’est que des mots !

Quelles évolutions techniques as-tu notées ici en lumière architecturale ?
Jean-Paul Haure : Il y a beaucoup de produits nouveaux qui sortent, surtout en lumière architecturale, même pour l’extérieur. Nous avons désormais des projecteurs automatiques qui fonctionnent sous la pluie. Ça peut sembler simple aujourd’hui, mais ça n’avait rien de facile il y a 15 ans ! Je suis content de voir, sur l’ISE 2025, que les fournisseurs évoluent dans ce sens.
Arnaud Légué m’a dit que tu faisais des dossiers d’éclairage très précis et bien documentés.
Jean-Paul Haure : Depuis toujours, j’ai appris à dessiner des plans tout seul ; mes premiers plans de feu étaient faits au Mecanorma. Sur calque, avec un stylo-plume Rotring et de l’encre de Chine, ils étaient nickel ! J’ai toujours aimé ça. Pour moi, le plan, c’est un document concret. Ça montre la confiance et le respect envers ceux qui vont le lire.
Depuis combien de temps utilises-tu Vectorworks ?
Jean-Paul Haure : Il faut commencer à faire des documents propres pour que la réalisation soit aussi propre ; c’est vraiment important. C’est du respect ! Avec l’informatique, ça fait plus de 20 ans que j’utilise Vectorworks. Maintenant, je sors des dossiers de qualité, avec des plans très précis et détaillés.

Pourquoi avoir des documents d’exécution précis et détaillés en éclairage ?
Jean-Paul Haure : À cause de mon handicap, je dois travailler deux fois plus pour que les gens comprennent parfaitement mes intentions. J’essaie d’être aussi précis et carré que possible, c’est ma façon de concevoir. Beaucoup de gens me parlent de la qualité des images 3D et des plans que je fournis. C’est une expérience commune. Maintenant, j’utilise aussi des outils d’IA pour améliorer mes réalisations.

Comment vois-tu l’avenir de la conception lumière face à l’IA ?
Jean-Paul Haure : Pour moi, le regard humain et la sensibilité ne changeront jamais. La lumière, c’est la sensibilité, donc nous ne pouvons pas demander à une machine d’être sensible. Pour l’instant, il n’y a pas de solution, mais avec l’évolution technologique, ça avance.

Les outils vont nous permettre d’avoir des visualisations de plus en plus précises. Il y a des logiciels de rendu qui vont encore s’améliorer et nous apporter une rapidité de calcul indispensable. J’ai assisté à une conférence à Toulouse sur l’analyse des flux de personnes dans la rue ; on pourra presque créer des scénarios lumières adaptés à la présence des gens, sans avoir des systèmes trop complexes.

Mais une chose est sûre, notre regard ne changera jamais. Heureusement, car le cerveau humain est la plus belle des machines, avec une sensibilité unique !
Propos recueillis à Barcelone pendant l’ISE 2025 par Vincent Laganier, le 6 février 2025.

Approfondir le sujet
- Hervé Morin, L’imagination passée à la moulinette de l’IA et de l’imagerie cérébrale, 7 mai 2024, Le Monde
- Tribune de Guillaume Chevillon et Julien Malaurent, Intelligence artificielle : « Une nouvelle forme de créativité émerge, accessible à tous », 4 janvier 2025, Le Monde
- Scénographies et imaginaire de Jean-Paul Haure Studio avec l’IA, Instagram
Photo en tête de l’article : Pavillon des Imaginaires – Écrin de fleurs révélées par la lumière, serre où s’élève l’inspiration et naissent les traits d’une nouvelle collection couture – Image IA © Scénographie JPHStudio