Matthieu Debay, directeur artistique de l’expo Into The Light
Matthieu Debay est passionné par la lumière depuis l’enfance. Tout commence au collège, lorsqu’un éclairagiste du théâtre municipal de Carcassonne lui met un projecteur entre les mains. Instant théâtral par excellence, le jeu magique entre la lumière et l’ombre d’un vieux PAR l’a fasciné au point de passer des nuits entières à expérimenter l’éclairage. C’est alors une révélation ! Pour ce Lyonnais d’adoption, l’écosystème local et la fête des Lumières de Lyon ont été déterminants dans la fondation de TETRO. Depuis ses débuts, il a produit des projets marquants, prouvant combien l’innovation nourrit la créativité.
Comment les artistes d’Into The Light ont-ils été choisis ?
Matthieu Debay : Les artistes ont d’abord été choisis pour leur créativité. Dès le départ, plusieurs décisions fortes ont été prises : s’appuyer sur notre écosystème et ne sélectionner que des artistes européens, car nous voulions valoriser la richesse de la création artistique lumière en Europe.



C’est aussi une manière d’inscrire cette exposition dans notre propre histoire. Et, de manière très concrète, ce choix permet également de limiter les déplacements et l’empreinte carbone du projet.

Pourquoi avoir plutôt présenté des œuvres lumière existantes ?
Matthieu Debay : Le projet est ambitieux, présenter 15 installations de format parfois monumental. Le film de l’exposition c’est vite écrit avec des totems évidents. C’est pourquoi, la plupart sont des œuvres existantes, pour les raisons suivantes : Créer génère un stress considérable dès le départ, à cause du risque d’instabilité des systèmes, mais aussi du poids financier que cela implique. C’est pourquoi, nous avons préféré rééditer des œuvres déjà connues en leur donnant une nouvelle dimension. Les artistes les ont réécrites, réinterprétées. Les œuvres existantes n’ont pour la plupart jamais été présentées à Paris. Elles peuvent grâce à l’exposition être présentée à un nouveau public.


Quelles œuvres lumière ont été rééditées par les artistes ?
Matthieu Debay : Certaines œuvres ont été entièrement réécrites.
Beyond, le tunnel de Playmodes Studio, à l’entrée d’Into The Light, est une création toute neuve : le scénario lumière a été entièrement repensé.

Narcisse de Nonotak Studio, a, elle aussi été totalement retravaillée : système, partition sonore, programmation. Tout est inédit.

Quant à Grid de Christopher Bauder, la version présentée à La Villette en 2025 n’a plus grand-chose à voir avec celle montrée à Lyon il y a presque 13 ans. Le système cinétique a évolué avec des nouveaux moteurs qui vont plus vite, avec une longueur de câble plus importante. Côté lumière, on est passé d’un pilotage à la barre à un contrôle au point, qui offre une matrice vidéo. Et la bande sonore a été entièrement recomposée par Robert Henke sur place.

Nautilus avait été pensé par le Collectif Scale pour un spectacle de Zhang Yimou à l’opéra de Pékin. Cette nouvelle version se déploie comme un piano de lumière qui met en lévitation chaque note sur toute la hauteur de la Halle.

En somme, ce ne sont pas les mêmes œuvres : elles ont grandi pour s’adapter au contexte de la Grande Halle. Et ce choix s’est révélé juste : celles et ceux qui les connaissaient déjà les redécouvrent avec un plaisir immense. Tous nous ont dit que la perception en était complètement transformée.

Quelles sont les nouvelles œuvres lumière présentées ?
Matthieu Debay : Certaines créations lumière sont nées d’un véritable défi artistique, que nous avons eu le plaisir de relever avec 1024 Architecture et Jacqueline Hen. Ils se sont lancés dans l’expérimentation d’une nouvelle forme, avec une exigence forte de renouvellement.


Ce fut passionnant, justement parce que rien n’était joué d’avance. Into The Light incarne cette ambition : proposer, partager, faire rayonner des expressions de lumière singulières et inattendues.
Qu’est-ce que la lumière ?
Matthieu Debay : La lumière, c’est ce qui nous anime au quotidien. Elle suspend le temps, capte les esprits, ouvre des brèches vers l’utopie, vers le rêve. Elle est à la fois poétique et physique ; une matière d’émotion autant que de sensation. La lumière, c’est une forme d’expression extraordinaire, capable de toucher l’intime autant que le collectif.

Quelles sont tes premières émotions de lumière ?
Matthieu Debay : Ma première émotion de lumière, je l’ai ressentie face au feu et à la pyrotechnie. Je me souviens aussi d’un moment de théâtre, l’image est encore vive, même si le nom m’échappe. Une mise en scène où des faisceaux lumineux dessinaient l’espace, le sculptaient presque, jusqu’à suspendre le temps. C’était d’une précision presque mystique.
Et puis, il y a eu Le Boléro de Béjart. Ce rond rouge, sacralisé par la lumière, fixe un centre de gravité. Tout est là : une lumière statique, hypnotique, qui convoque le temps du cirque, de l’éternité. Ce plateau circulaire devient une scène envoûtante, hors du temps.
Quelle est ta sensation de lumière préférée ?
Matthieu Debay : La lumière amène de la chaleur tout de suite et une espèce de cocon qui rend les choses lisibles.
Quels sont les personnalités en lien avec la lumière les plus inspirantes?
Matthieu Debay : Je suis inspiré par de nombreux peintres, metteurs en scène, réalisateurs qui invitent la lumière au cœur de leur travail.
Le travail d’Olafur Eliasson me fascine depuis longtemps. Il a su bâtir un pont entre l’art contemporain et le monde du spectacle vivant, avec une forme de génie, une capacité à faire dialoguer les disciplines sans jamais les affadir.

James Turrell, bien sûr, est tout aussi essentiel. J’ai un immense respect pour les pionniers du mouvement Light and Space, ces artistes américains du XXe siècle qui ont ouvert la voie. Il y a eu, dans cette génération, une audace et une vision qui continuent d’irriguer tout ce qui se fait aujourd’hui.

Quel est ton objet lumière préféré ?
Matthieu Debay : L’anneau de Children of the Light, présenté dans notre exposition Into The Light, m’émerveille. Il tient de la magie pure — une simplicité radicale, presque silencieuse, et pourtant bouleversante.

Et puis, à l’autre bout du spectre, il y a cette chose toute simple : une ampoule à filament. Une lumière chaude, vibrante, qui dégage une présence presque nostalgique. Ces ampoules me fascinent.

On les voit de moins en moins depuis que la LED a tout « réinitialisé ». Mais une belle ampoule à filament, pour moi, c’est fantastique une lumière habitée.
Quelle est l’installation lumière la plus mémorable pour toi ?
Matthieu Debay : Je crois que c’est le soleil, The Weather Project, d’Olafur Eliasson à la Tate Gallery. C’était complètement fou !

Que voudrais-tu que la lumière fasse ?
Matthieu Debay : La question majeure aujourd’hui, c’est celle de l’énergie : Comment produire une lumière moins énergivore ?
La lumière vivante existe déjà, elle est là, sous nos yeux, chez les vers luisants. Peut-être que c’est par là qu’il faut creuser, rêver, faire grandir cette lumière du futur : plus organique, plus sobre, plus malicieuse.
Comment approfondir avec les podcasts d’Into The Light ?
Matthieu Debay : Notre but, c’est augmenter le nombre de visites par des podcasts portés par ces cinq grands témoins qui nous offrent leurs visions de la lumière.
- Kumiko Kotera, astrophysicienne sur les origines de la lumière.
- Roger Narboni, pour la partie hommage à la lumière.
- Étienne Klein, qui met en relief sa dimension plutôt sociétale.
- Thomas Jolly sur le rapport à la lumière du spectacle au sens large, théâtral et lors de cérémonies.
- Hervé Fischer, sur la couleur.
On voulait aussi donner la possibilité au public de mieux appréhender la lumière et de la comprendre autrement tant elle est multiple…

Quels retours d’expériences pour Into The Light ?
Matthieu Debay : Into The Light a été un énorme défi artistique, technique et de production que nous avons relevé. Notre histoire et notre engagement pour la production artistique a permis ce projet.
C’est aussi notre histoire qui a convaincu notre partenaire Fimalac Entertainment à coproduire ce projet avec nous ?
Le choix du lieu était important : Into The Light à Paris, c’est extraordinaire, parce qu’on est dans un bâtiment qui est une cathédrale culturelle : la halle de La Villette.

Nous avons aussi affirmé une volonté aussi de décloisonner, de rendre accessible l’excellence créative à un large public . C’est un point auquel nous sommes très attachés. Comment faire en sorte de présenter des choses très signées et élégantes, mais accessibles au plus grand nombre ?
Pour la plupart, ces œuvres lumière ont déjà circulé dans des niches de festivals lumière. Nous en avons fait une narration très grand public pour l’excellence créative aussi complexe soit elle puisse être présentée à un large public. C’est très important pour nous.
Maintenant nous travaillons pour présenter cette exposition à l’étranger.

A suivre…
Matthieu Debay, fondateur de Tetro, à Lyon et Paris

Approfondir le sujet
- Into The Light, exposition lumière à la Villette, Paris
- 15 œuvres de 12 artistes européens à l’expo Into The Light
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Photo en tête de l’article : Into The Light, exposition lumière, la Villette, Paris, France – Directeur artistique Matthieu Debay, TETRO © Photographe Quentin Chevrier